(Français) Cameroun: Violations de Droits Humains Commises dans le Cadre des Poursuites Judiciaires pour «Homosexualité»
AFRICA, JUSTICE, SEXUALITIES, ORIGINAL LANGUAGES, 25 Mar 2013
Human Rights Watch – TRANSCEND Media Service
Nombre record d’arrestations pour rapports sexuels entre personnes du même sexe et atteintes à l’État de droit.
Le Cameroun poursuit des personnes en justice pour relations consenties entre personnes du même sexe avec plus d’ardeur que presque tout autre pays dans le monde, ont déclaré quatre organisations de défense des droits humains dans un rapport publié aujourd’hui. Ces organisations – Alternatives-Cameroun, l’Association pour la défense des Homosexuel-le-s (ADEFHO), l’association Cameroonian Foundation for AIDS (CAMFAIDS) et Human Rights Watch – ont constaté que depuis 2010, 28 personnes au moins ont fait l’objet de poursuites judicaires pour relations homosexuelles au Cameroun. La plupart des affaires ont été marquées par de graves violations des droits humains, notamment des actes de torture, des aveux extorqués, le refus d’un accès à une assistance juridique, et un traitement discriminatoire de la part des agents des forces de l’ordre et des autorités judiciaires.
Le rapport de 59 pages, intitulé « Coupables par association : Violations des droits humains commises dans l’application de la loi contre l’homosexualité au Cameroun », présente dix études de cas portant sur des arrestations et des poursuites menées en application de l’article 347 bis du code pénal camerounais, qui punit les « rapports sexuels avec une personne de son sexe » de peines de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans. Le rapport a constaté que la plupart des personnes mises en accusation pour homosexualité sont condamnées sur la base de preuves plutôt minces, voire inexistantes. Le rapport comporte de nombreux cas dans lesquels la loi contre les relations homosexuelles a été utilisée pour régler des comptes, montrant à quel point la loi est facilement sujette aux abus. Des dizaines de Camerounais purgent des peines de prison uniquement parce qu’ils sont soupçonnés d’être gays ou lesbiennes, selon les constatations des quatre organisations.
« Il est regrettable que notre pays se démarque comme l’un des quelques pays au monde qui poursuivent régulièrement des personnes en justice pour relations homosexuelles », a fait remarquer Dominique Ménoga, président de CAMFAIDS, une organisation basée à Yaoundé. « Le gouvernement camerounais affirme qu’il est attaché au respect des droits humains, mais ses actions, lorsqu’il s’agit des minorités sexuelles et de genre, suggèrent exactement le contraire.
L’article 347 bis du code pénal camerounais viole les normes internationales en matière de droits humains et la constitution du Cameroun elle-même, selon les organisations. Les lois contre les rapports sexuels consentis entre personnes du même sexe violent les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) qui protège la vie privée et le droit à la non-discrimination. La constitution du Cameroun intègre les traités internationaux que le Cameroun a ratifiés, y compris le PIDCP, dans la législation nationale, et stipule que lorsque le droit international entre en conflit avec le droit camerounais, c’est le droit international qui prend le pas sur le droit national. La constitution prévoit également de fortes garanties de la vie privée. En outre, le Cameroun est un État membre du Commonwealth, qui dispose d’une nouvelle charte opposée à toute discrimination quelle qu’elle soit.
« Notre gouvernement et nos tribunaux doivent reconnaître que s’agissant des engagements du Cameroun en matière de droits humains internationaux, ils ne peuvent pas faire leurs choix sur la base de préjugés personnels », a indiqué Alice Nkom, présidente d’ADEFHO. « Chaque fois qu’un juge au Cameroun condamne une personne pour homosexualité, il viole la loi, tout simplement. »
Presque toutes les poursuites judiciaires menées pour « homosexualité » ayant fait l’objet des recherches des quatre organisations ont été marquées par de graves vices de procédure et autres violations des droits humains. Des suspects ont été régulièrement arrêtés sur la seule base de rumeurs et sans mandats, en violation du code de procédure pénale du Cameroun. La police au Cameroun affirme que la loi existe dans le but de punir des personnes qui se livrent à des relations homosexuelles en public, mais dans toutes les affaires dont eu connaissance les quatre organisations, il n’y en a pas eu une seule dans laquelle un suspect ait été pris en train de se livrer publiquement à ce type de relations.
Du fait que les arrestations pour « homosexualité » ne s’appuient pas sur des informations de témoins ou autres éléments de preuve, les membres des forces de l’ordre s’appuient lourdement sur les aveux, souvent extorqués par la torture et les mauvais traitements. Un jeune homme de 17 ans arrêté par des gendarmes à Yaoundé a déclaré : « L’inspecteur m’a frappé sur la plante des pieds, 50 coups avec le côté non tranchant d’une machette. »
Un homme à Limbre a indiqué aux organisations que lorsque les gendarmes ont arrêté son ami sur des soupçons d’homosexualité : « Ils l’ont frappé avec une ceinture métallique, l’ont fait nager dans un caniveau et ont brûlé des sacs en plastique sur sa poitrine. » Un homme arrêté par la police à Douala a déclaré que les policiers l’ont forcé à dormir tout nu sur le sol et l’ont frappé à coups de matraque sur la plante des pieds à tel point que ses ongles de pied sont tombés. Dans plusieurs cas, des hommes arrêtés pour homosexualité ont subi des examens anaux, qui n’ont aucune valeur comme élément de preuve et peuvent constituer un traitement cruel et inhumain.
Les autorités judiciaires omettent fréquemment de se conformer à leur obligation d’interpréter la loi avec objectivité, se fondant plutôt sur leurs propres préjugés. Deux hommes à Yaoundé ont été inculpés parce que des gendarmes ont trouvé des préservatifs et du lubrifiant dans leur maison lors d’une perquisition censée porter sur un ordinateur volé.
Lorsque deux jeunes personnes transgenres ont été arrêtées à Yaoundé, un juge a déclaré que leur choix de boisson – de la liqueur Bailey’s, que le juge a qualifiée de « boisson de femme » – constituait une preuve de leur homosexualité. Ils ont été inculpés et condamnés à cinq ans d’emprisonnement. Leur condamnation a par la suite été annulée par une cour d’appel. Mais le même tribunal a récemment confirmé la condamnation de Roger Mbede, qui était mis en accusation pour homosexualité, pour avoir envoyé un texto à un autre homme, disant : « Je suis tombé amoureux de vous. »
« Personne ne devrait être condamné à une peine de prison pour avoir laissé échapper des aveux afin de faire arrêter la torture, ou parce qu’un juge n’aime pas ce qu’ils boivent, la façon dont ils s’habillent ou le type de textos qu’ils envoient », a fait remarquer Neela Ghoshal, chercheuse sur les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) à Human Rights Watch. « La façon dont la loi est appliquée au Cameroun semble suggérer que si vous êtes soupçonné d’être gay ou lesbienne, les droits humains, par exemple le droit à un procès équitable et le droit à ne pas être torturé, n’ont plus cours. »
Le rapport documente également les nombreuses menaces de morts reçues par deux avocats spécialisés dans les droits humains, Alice Nkom et Michel Togué, en raison de leur défense de clients accusés d’homosexualité. Ces deux avocats ont alerté les autorités, mais les agents des forces de l’ordre semblent n’avoir pris aucune mesure pour enquêter sur les menaces à l’encontre des avocats.
Le Président Paul Biya a déclaré lors d’une conférence de presse à Paris en janvier 2013 que les « mentalités changent » en ce qui concerne l’homosexualité au Cameroun, mais il n’a pris aucun engagement afin de mettre en place des mesures concrètes pour la dépénalisation des relations homosexuelles.
« Nous appelons notre gouvernement à cesser d’attendre sans rien faire que les mentalités évoluent, et à montrer plutôt un peu de courage », a conclu Yves Yomb, directeur exécutif d’Alternatives-Cameroun. « Le gouvernement devrait dépénaliser les relations homosexuelles, abandonner les charges contre les personnes actuellement jugées pour homosexualité, et informer les citoyens qu’il s’agit de faire respecter des droits fondamentaux. »
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Violations des droits humains commises dans l’application de la loi contre l’homosexualité au Cameroun – 21 mars 2013
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