(Français) Portugal : la droite veut changer la constitution pour rester au pouvoir
ORIGINAL LANGUAGES, 16 Nov 2015
Le premier ministre lusitanien, renversé mardi [10 nov] par le parlement, demande une modification d’urgence de la constitution pour permettre de nouvelles élections.
13 novembre 2015 – La droite portugaise peine à se remettre de sa défaite. Mardi 10 novembre, le gouvernement du premier ministre sortant Pedro Passos Coelho a été renversé par une motion de défiance qui a obtenu 123 voix sur les 230 que comptent le parlement unicaméral, l’Assemblée de la République. Cette motion a été obtenue par l’alliance du PS et des deux partis de la gauche radicale, le Bloc de Gauche (BE) et la Coalition démocratique unitaire (CDU) qui regroupe le parti communiste (PCP) et les Verts (PEV).
Fureur à droite
Depuis, les deux partis de droite, le Parti social-démocrate (PSD) du premier ministre sortant et le CDS-PP du vice-premier ministre Paulo Portas, ne décolèrent pas. La version officielle à droite est désormais de présenter l’établissement d’un gouvernement PS soutenu par le BE et la CDU comme un « coup d’Etat » venant satisfaire la seule « ambition personnelle » du leader socialiste, Antonio Costa. L’argument principal utilisé par le PSD et le CDS-PP est que, durant la campagne électorale, les trois partis n’ont jamais parlé de s’entendre et qu’ainsi, la volonté populaire, a été trompée.
La proposition du premier ministre
Pedro Passos Coelho a donc proposé au PS de pratiquer une modification expresse de la constitution portugaise pour permettre de revenir rapidement aux urnes. En effet, l’actuelle constitution interdit la dissolution de l’Assemblée de la République six mois avant et six mois après l’élection présidentielle. Or, une telle élection est prévue pour le mois de janvier 2016. Le président de la République, Anibal Cavaco Silva ne peut donc guère refuser de nommer Antonio Costa premier ministre puisqu’il ne dispose pas du droit de dissoudre le parlement.
C’est ce que Pedro Passos Coelho souhaiterait modifier : ôter cette restriction pour permettre au président de la République de dissoudre. « Celui qui veut gouverner comme une alternative à qui a gagné les élections, s’il veut gouverner avec l’appui populaire, s’il veut gouverner en accord avec la volonté du peuple, doit s’engager à garantir les conditions d’une dissolution du parlement », a indiqué le premier ministre, accusant ceux qui refuseraient sa proposition, autrement dit les Socialistes, de vouloir gouverner comme des « faiseurs de coup d’Etat » et des « fraudeurs. »
De nouvelles élections favorables à la droite ?
Le premier ministre sortant est persuadé qu’il sortirait vainqueur d’un nouveau scrutin. Il a pour cela plusieurs bonnes raisons. D’abord, deux sondages publiés récemment donnent deux points de plus à sa coalition en cas d’élection. Les trois partis de gauche resteraient stables. Le PSD et le CDS-PP gagneraient donc des voix sur les petits partis de droite extraparlementaires et obtiendrait 41 % des voix contre 39 % lors de l’élection du 4 octobre. Or, compte tenu du système électoral portugais qui accorde de fait une prime majoritaire, peu importe que la gauche soit majoritaire en voix. Si elle est divisée, la droite peut espérer avec 41 % des voix obtenir la majorité des sièges. D’autant que Pedro Passos Coelho fera sans doute une campagne très agressive en mettant en avant le risque de « scénario à la grecque » et de sortie du pays de la zone euro et de l’UE en cas de gouvernement de gauche. Il peut donc espérer compter sur une mobilisation des abstentionnistes effrayés dans ce cas.
Retarder encore l’arrivée d’Antonio Costa au poste de premier ministre ?
Pour réviser la constitution, il faut obtenir, selon l’article 286 de la Constitution, une majorité des deux tiers, soit 154 sièges. Une majorité entre la droite et le PS suffirait donc puisqu’elle est de 193 voix. Reste à savoir si Pedro Passos Coelho et Anibal Cavaco Silva vont tenter cette réforme immédiatement pour repousser encore l’arrivée au pouvoir d’Antonio Costa. Selon l’article 195 de la Constitution, le gouvernement renversé doit présenter sa démission au président de la République. Mais si un député de droite propose une réforme constitutionnelle, Anibal Cavaco Silva pourrait maintenir l’actuel gouvernement en place jusqu’au vote sur cette révision. Mais comme les partis de gauche semblent décider à s’entendre, il y a peu de chance qu’elle soit adoptée. Ce serait donc une perte de temps qui rajouterait de l’incertitude politique et repousserait encore la présentation du budget qui aurait dû être transmis à Bruxelles avant le 15 octobre, ce qui n’a pas été fait par le gouvernement sortant.
Les arguments de la droite et leurs faiblesses
Ce refus de la droite d’accepter sa défaite au parlement s’explique aisément par le sentiment de victoire qui avait dominé au soir du 4 octobre. Mais les partis de gauche ne peuvent être considérés comme les agents d’un « coup d’Etat. » Certes, cette coalition n’a pas été présentée durant la campagne électorale, mais la droite portugaise oublie de rappeler que le PS avait clairement exclu tout gouvernement de « bloc national » avec la droite. La légitimité d’un gouvernement minoritaire en voix et en sièges ne peut donc pas être considérée comme supérieure à celle d’un gouvernement bénéficiant d’un appui parlementaire fondé sur une majorité de sièges et de voix. Même si le projet de ce gouvernement est encore incertain.
En régime parlementaire, ce type d’alliance est assez fréquent. La droite danoise a ainsi longtemps gouverné, de 2007 à 2011, avec l’appui externe des eurosceptiques du parti du progrès sans programme de gouvernement commun. Au Royaume-Uni en 2010, les Libéraux-démocrates ont choisi après coup avec qui ils gouverneraient. Ils étaient restés très flous durant la campagne. En Italie, la coalition qui soutient actuellement Matteo Renzi s’est formée après les élections de 2013, suite à un éclatement de la droite relative à la question de la participation au gouvernement sur laquelle les électeurs n’avaient pas voté.
« Constitution à la carte »
Par ailleurs, la gauche portugaise a strictement respecté jusqu’ici les procédures constitutionnelles. Le choix du président de la République de proroger le gouvernement Passos Coelho a été respecté et a donné lieu à une motion de censure légale et approuvée par la chambre dans des conditions normales. Mieux même, le PS a soumis son vote de la censure à l’existence d’un projet de gouvernement. Il y a donc là un sens de la responsabilité politique et aucun « coup d’Etat. » En revanche, la droite portugaise semble vouloir une constitution « à la carte. » La disposition permettant à un gouvernement minoritaire de survivre ne semble poser aucun problème au premier ministre, car il assurait sa survie à la tête du gouvernement. En revanche, celle interdisant des élections lui pose problème : il en demande la suppression au nom de la « démocratie. » En réalité, la droite portugaise semble profiter de la présence d’un des leurs à la présidence de la République pour tout faire pour empêcher la nouvelle majorité d’accéder au gouvernement.
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Romaric Godin – Rédacteur en chef adjoint. Journaliste depuis quinze ans, à la Tribune depuis 2002, il a travaillé au service « marchés », puis a été pendant trois ans correspondant à Francfort, de 2008 à 2011, où il vit les débuts de la crise de la zone euro. Revenu à Paris, il suit les effets de cette crise en Europe sous ses aspects économiques, monétaires et politiques.
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