(Français) Une crise globale massive : 201 millions de personnes sans emploi
ORIGINAL LANGUAGES, 24 Jul 2017
Vijay Prashad | Investig’Action – TRANSCEND Media Service
Ni Miguel, ni Isabel ou Mohammed ne prospéreraient ici. Il n’y a pas de futur ici, mais seulement un présent tortueux et sans fin…
23 Jul 2017 – Miguel m’a dit qu’il vivait toujours chez ses parents. Tout comme son frère jumeau. Ils ont 28 ans. Les deux frères ont commencé à travailler 10 ans auparavant, mais n’ont pas pu économiser assez d’argent pour leur propre appartement. Barcelone est cher. Leurs parents vivent en périphérie, près de l’aéroport. Miguel énumère un panel de chiffres ; des courbes du chômage qui semblent magiques et irréelles. 25% de la population des travailleurs potentiels espagnols sont sans emploi, dit-il. Près des trois quarts des jeunes espagnols sont sans emploi. 4 espagnols sur 5 ayant entre 16 et 29 ans vivent avec leurs parents. Ces chiffres définissent leurs vies.
Un des aspects les plus frappant du chômage en Espagne est que 1 chômeur sur 4 en Europe vit en dans ce pays. C’est le cœur du chômage en Europe.
De l’autre côté de la mer Méditerranée, à Fez, au Maroc, Mohammed me dit qu’il n’a pas les moyens de se marier. L’argent rentre pour les emplois qu’il a, mais impossible d’en économiser. Il disparaît pour régler les factures de la vie au quotidien. Nous parlions le jour après l’Eid al-Fitr, fin juin. Aucun de nous n’a mentionné l’explosion de violence dans la ville d’Al-Hoceima, au nord pour nous qui étions à Fez, dans la zone connue comme le Rif. Cette violence remonte à un incident en octobre dernier, quand un marin pêcheur, Mouhcine Fikri, a été écrasé à mort dans un compacteur de déchets. Il est mort en essayant d’empêcher la destruction des 1 000 livres d’espadon qui lui avaient été confisquées par la police.
Les manifestations se sont répandues rapidement à travers le pays. Les gens ont exprimé leur frustration vis-à-vis de la « hogra » (mépris, NdT) des abus de la police, mais aussi du chômage, de la pauvreté et des inégalités. Pendant l’Eid, la police a poursuivi des protestataires avec virulence. Les slogans pour du travail décent et un style de vie stable n’ont pas été accueillis avec de la compréhension, mais avec la violence de la police.
Miguel m’a dit que sa fiancée, Isabel, avait étudié à l’université et qu’elle travaille maintenant dans un hôtel touristique sur las Ramblas. Un diplôme universitaire ne l’a pas aidé. Tout comme Mohammed. Les deux sont exposés à la même insécurité qui frappe Miguel.
Mohammed, Miguel et Isabel, des 2 côtés de la mer, représentent une réalité courante : un futur flou produit par une économie et un système politique inégaux.
Récemment, la Banque Mondiale a réalisé un rapport à Rabat (la capitale du Maroc) à propos de la situation du chômage dans le pays. Le rapport apporte la preuve de l’indifférence de l’ensemble des intellectuels qui travaillent au sein d’institutions comme la Banque Mondiale. La jeunesse marocaine devrait revoir à la baisse ses ambitions et prendre des emplois moins payés qu’ils n’espèrent, note l’analyse de la Banque Mondiale. Parce que la jeunesse marocaine a de grandes attentes, la Banque Mondiale indique, et parce qu’ils sont « submergés par un sentiment de désespoir », que plus de 28 % de la jeunesse marocaine espère émigrer.
Mais en Espagne et dans d’autres parties de l’Europe, les Marocains découvrent des gens comme Miguel et Isabel, et à travers eux découvrent la dure réalité du chômage même en Europe. « Colectivo Ioé », un think tank espagnol, a estimé que le pourcentage du chômage pour les Marocains a augmenté de manière astronomique, de 16,6 % avant la crise économique actuelle, il est passé à 50,7 % aujourd’hui. 1 Marocain sur 3 est sans emploi en Espagne, les migrants marocains sont retournés chez eux maintenant. Mais la situation qu’ils trouvent là-bas est tout aussi périlleuse.
Plus tôt dans l’année, l’Organisation internationale du travail a réalisé un rapport qui montre les courbes sans fin de l’augmentation du chômage. Le nombre de chômeurs, avec un total de 201 millions, va augmenter globalement cette année de 3,4 millions de personnes. Ce sont des chiffres dévalués. Ils sont simplement une indication de la réalité. Il est important de savoir réellement combien de personnes sont sans emploi ou très peu employées.
Le nombre des pauvres travaillant est sur le point d’augmenter de manière encore plus dramatique, avec 5 millions de personnes sur les 2 prochaines années. L’ Organisation internationale du travail rapporte que la moitié des travailleurs dans le sud de l’Asie vivent dans une extrême pauvreté ou dans une pauvreté modérée, pendant que deux tiers des travailleurs en Afrique subsaharienne vivent dans la pauvreté extrême ou modérée. Ce sont eux qui ont du travail. Avoir un travail n’est pas suffisant en tant qu’indicateur pour être considéré en dehors de la pauvreté.
Le Premier Ministre marocain Saad Eddine el-Othmani s’est dépêché d’appeler à des projets de développement sur le Rif pour calmer les agitations. « Nous devrions répondre aux attentes des citoyens, » a-t-il dit fin juin après les troubles de l’Eid. Mais ces projets spectaculaires de développement font peu pour apporter des emplois ou de l’espoir aux gens. Avant la manifestation de l’année dernière, le roi Mohammed VI avait lancé le projet de développement Al-Hoceima Manarat al-Motawasit. Le plan inclut une augmentation du tourisme à travers de meilleures infrastructures et la création d’avantages liés à la santé et à la culture. Aucune des ces propositions n’a été fructueuse. La bulle touristique et immobilière ne va pas apporter un futur stable pour les chômeurs et les travailleurs pauvres. Bien sûr les centres de santé et les centres culturels sont des ajouts importants pour la vie sociale du peuple, mais ils ne vont pas être suffisants. Il en faut plus.
Le maire de Barcelone Ada Colau, une activiste de gauche pour le logement, est aussi engagée à ralentir l’industrie touristique dans sa ville. La poussée massive du secteur a enflammé le prix des logements et laisser partir à la dérive les travailleurs résidents de la ville. Il ne faut pas s’étonner si Miguel et Isabel ne peuvent pas trouver d’appartement. « Si nous ne voulons pas finir comme Venise » a déclaré Colau à El Pais, « nous allons devoir mettre en quelque sorte des limites à Barcelone. » Des limites au tourisme pourraient protéger le prix du logement, mais ceci ne répond pas au problème de la pauvreté et du chômage.
Les migrants venant d’Afrique et d’Asie du sud vendent des babioles dans la rue, étalés sur des couvertures qui peuvent être rapidement remballées quand la police arrive pour les arrêter. Ces hommes sont connus comme des manteros parce que leur couverture (la manta) est leur outil le plus important. Ils veulent créer une coopérative avec des droits et vendre dans la ville. Les bonnes intentions sont nécessaires, mais les dures réalités des intérêts du business et des droits de propriété étouffent l’agenda de Colau.
La migration est une option pour le chômeur désabusé. Une autre option est d’entrer dans les économies souterraines telles que la production de drogues ou le trafic d’armes et de personnes. Le désert du Sahara illustre ces choix. De Gao (Mali) à Agadez (Niger) pour atterrir Sabha (Lybie) s’exécute un circuit qui entraîne des jeunes hommes au trafic transportant d’autres jeunes hommes et femmes sur de dangereuses routes pour des destinations vaines. Ce sont tous des jeunes gens qui se guident mutuellement vers des fins mortelles.
Les camions cabossés partent de Gao pour la frontière libyenne, mettant une semaine pour traverser des terrains dangereux tenus par des hommes armés de gangs rivaux et d’Al-Qaïda. Une des zones est connue sous le nom de Cocainebougou, la ville Cocaïne, d’où les caravanes de cocaïne colombienne traversent le désert. L’emploi est présent ici comme homme armé, transporteur, conducteur, travailleur du sexe. La croissance est évidente ; l’argent est là pour être créé. Mais la dignité est absente. La dureté est dans les visages.
Ni Miguel, ni Isabel ou Mohammed ne prospéreraient ici. Il n’y a pas de futur ici, mais seulement un présent tortueux et sans fin.
Mohammed n’est pas intéressé par la migration. Il est content au Maroc. Quand je lui parle des Marocains qui vont en Europe, il sourit. « Les Européens sont venus au Maroc sans visa » dit-il. J’ai entendu ces propos plusieurs fois. C’est un rappel amer de la conquête coloniale. Malcom X disait « Nous n’avons pas atterri sur le Rocher de Plymouth », lieu où les pèlerins anglais ont atterri en Amérique du nord. Des esclaves africains, Malcom X disait, « Le Rocher de Plymouth a atterri sur nous ».
Les colonisateurs européens sont venus au Maroc sans visa, maintenant c’est aux Marocains d’aller en Europe sans visa. Mais les uns sont venus avec une épée et ont pris place par la force. Les autres viennent avec une grande vulnérabilité, aussi dépossédés que le peuple qu’il trouve en Europe. Des gens comme Miguel et Isabel.
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Vijay Prashad est professeur d’études internationales au Trinity College à Hartford, dans le Connecticut. Il est l’auteur de 18 livres, incluant Arab Spring, Libyan Winter (AK Press, 2012), The Poorer Nations: A Possible History of the Global South (Verso, 2013) et The Death of a Nation and the Future of the Arab Revolution (University of California Press, 2016).
Cet article a été rédigé grâce aux auteurs et aux contributeurs du site AlterNet.
Traduit de l’anglais par le collectif Investig’Action, relu par Rémi Gromelle
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Tags: Demonstrations, Inequality, Morocco, Postcolonialism, Spain, Tourism, Violence
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