(Français) Paul Oquist: «Il y a une tentative de coup d’État au Nicaragua»
ORIGINAL LANGUAGES, 9 Jul 2018
Alex Anfruns | Journal Notre Amérique – TRANSCEND Media Service
4 Juil 2018 – L’aube du XXIe siècle a donné lieu à de grands changements sociaux dans l’un des pays d’Amérique latine les plus touchés par la pauvreté. C’est pour cette raison que comprendre la crise politique actuelle au Nicaragua revêt une grande importance. Les questions affluent : Qui est responsable de ce déchaînement de violence ? Quelle possible issue au conflit ? Qui en sortira gagnant ? Les médias internationaux pointent les autorités comme étant responsables du conflit, tout en donnant la parole à l’opposition, celle-ci étant présentée comme un bastion de démocratie.
Il nous semble que cette explication est simpliste et qu’elle ignore volontairement les faits et témoignages qui ne collent pas avec le récit dominant. Mission impossible qu’essayer d’approfondir ceux-ci ? Afin de comprendre comment on en est arrivé là dans un pays qui paraissait épargné il y a encore peu de temps par la violence structurelle qui isole d’autres pays d’Amérique centrale, nous nous sommes entretenus avec le professeur Paul Oquist. Fort d’une longue expérience faite de missions de développement pour les Nations Unies, Oquist est actuellement ministre-secrétaire privé pour les politiques nationales du Nicaragua.
Le Nicaragua Sous le Feu des Projecteurs
Alex Anfruns : Selon vous, quels sont les acteurs qui fomentent le chaos au Nicaragua et quels sont leurs objectifs ?
Paul Oquist : L’objectif est de provoquer un coup d’État violent. Il s’agit de renverser le gouvernement de manière violente. Cela fait assez longtemps que certains acteurs attendent une ouverture pour se soulever et paralyser le gouvernement avec comme objectif de réaliser un coup d’État, sans réussir toutefois à trouver un point d’entrée.
Ils recherchaient depuis longtemps un moyen de réaliser un coup d’État, sans y parvenir. Alors, un mouvement de protestation contre le projet de canal inter-océanique a été créé à l’initiative du Mouvement de rénovation sandiniste (MRS), fruit d’une scission au sein du Front sandiniste de libération nationale (FSLN). Il s’agit du groupe le plus violent actuellement. Ce sont eux qui ont commencé à faire pression sur les paysans affectés par le canal, malgré le fait que ces derniers allaient largement en bénéficier. Mais nous savons bien qu’il existe toujours une part d’incertitude dans tout projet d’infrastructure.
Le doute s’est instillé chez les paysans, ils sont devenus nerveux et ont commencé à se mobiliser. Leur situation allait beaucoup s’améliorer, mais on ne peut pas se contenter d’annoncer cela, il faut le mettre en pratique. C’est pour cela que le canal est nécessaire.
Est-ce cela qui a marqué le début de la crise actuelle dans votre pays ?
Non, puisque ces manifestations étaient de fait assez locales. Mais elles ont été réactivées après un feu de forêt. Je pose la question : quelle responsabilité le gouvernement peut-il avoir dans un feu de forêt ?
Ils se sont obstinés à dire que le gouvernement avait réagi tardivement et refusé l’aide du Costa Rica. Mais les bataillons ont envoyé des camions à la frontière, la réserve d’Indio Maíz où l’incendie s’est produit se situant à trois ou quatre jours de route de celle-ci. Le gouvernement ne possédait pas les avions avec le matériel nécessaire pour éteindre les incendies et il a dû entreprendre des démarches pour que d’autres pays lui viennent en aide avec leurs avions afin d’éteindre l’incendie. Mais des manifestations anti-gouvernement étaient déjà en cours à Managua sous ce prétexte.
Regardez, il existe un comté en Californie qui s’appelle Santa Barbara. C’est l’un des plus riches des États-Unis, beaucoup de multimillionnaires y vivent. Eh bien là-bas, ils ont mis trois semaines pour éteindre un feu de forêt, et avec l’aide de tous les avions possibles. L’incendie a ravagé des maisons ainsi que des quartiers entiers. Il était curieux de blâmer le gouvernement pour cette situation… mais ils ont quand même essayé !
Que s’est-il passé ensuite ?
C’est le thème de la sécurité sociale qui a pris le relais. Nous avons travaillé sur la base d’un modèle de consensus entre le gouvernement, les entreprises et les syndicats, afin de traiter des sujets relatifs au salaire minimum, à la fiscalité et à la sécurité sociale. Ce modèle a commencé à se fissurer lorsque le secteur privé a refusé la hausse des salaires minimum. Il faut savoir que ces derniers ont augmenté de 40% sous ce gouvernement.
La couverture sociale, qui au Nicaragua inclut les médicaments, a ensuite occupé le devant de la scène. Toutes les personnes atteintes de maux chroniques qui sont affiliées à la sécurité sociale en bénéficient. Par exemple, j’ai 75 ans et souffre de plusieurs maladies, eh bien je reçois mes médicaments.
C’est un système coûteux. Le Fonds Monétaire International (FMI) nous avait annoncé il y a quelques temps qu’il faudrait le réformer, sous peine de le voir nous conduire à la faillite !
Alors le gouvernement a proposé une réforme. C’est celle-ci qui a été le détonateur…
Je dois ici produire une auto-critique. En premier lieu, il y a eu des chefs d’entreprise qui n’ont pas voulu augmenter leur contribution gouvernementale de 19 à 22% du salaire versé par l’entreprise. On n’a pas consulté ces personnes et on ne leur a pas expliqué correctement, si bien que cette réforme a provoqué une grande confusion. Surtout parce qu’on allait baisser le montant des retraites de 5%. « Pauvres retraités, qui bénéficient de si peu, 5%… » Mais ces 5%, c’était pour recevoir des médicaments ! C’est-à-dire que cette réforme était très avantageuse en réalité, surtout pour les personnes d’âge avancé.
Le premier jour, la police a clairement dépassé les bornes. Il y a eu une violence excessive face à la mobilisation. Mais on a également pu vérifier le premier jour les mensonges de la guerre psychologique visant à nous conduire tout droit vers un coup d’État. Car la fausse information selon laquelle un étudiant avait succombé au cours de cette manifestation a circulé. Mais aucun étudiant n’est décédé de la sorte. L’objectif de cette fausse information était de mobiliser les étudiants, et cela a fonctionné.
Le deuxième jour, un affrontement a eu lieu à l’Université polytechnique (UPOLI) à l’issue duquel un agent de police et deux manifestants ont trouvé la mort. Et c’est à partir de ce moment que le mouvement s’est renforcé. Alors le président Ortega a retiré la réforme de la sécurité sociale. Cela n’a eu aucun effet, car l’objectif de nombreuses franges de droite n’était pas de négocier la réforme, mais de provoquer un coup d’État. Ainsi, le mouvement s’est propagé vers d’autres villes, à grands renforts de préméditation et d’organisation, afin de réclamer la démission du président et du vice-président.
Comment expliquer cette promptitude dans l’organisation du mouvement ?
La réponse se trouve dans les manuels de la CIA. C’est dans ceux-ci qu’il est expliqué comment déstabiliser et renverser des gouvernements. La théorie a été établie par Gene Sharp, de l’Albert Einstein Institution de Boston, dans l’État du Massachusetts aux États-Unis. Elle a déjà été appliquée à deux reprises en Ukraine, en Géorgie, au Kirghizistan… Une tentative a également eu lieu au Venezuela, mais sans succès.
Elle consiste en l’utilisation d’un mouvement non-violent afin de renverser les gouvernements. Mais en réalité, le mouvement actuel n’a rien de pacifique, il est plutôt très violent. Il a provoqué des atrocités que l’on n’avait jamais vues au Nicaragua auparavant…
Pour quelle raison pensez-vous que cette crise a pu se produire précisément maintenant ?
Elle s’inscrit dans un contexte de recul de la gauche latino américaine. La main de l’impérialisme s’est dressée à plusieurs reprises contre les gouvernements de gauche : le coup d’État contre Mel Zelaya au Honduras ; celui contre Lugo au Paraguay ; c’est maintenant au tour de l’ex-présidente Cristina Kirchner d’être jugée, dans une optique de destruction du péronisme, dont la présence reste encore forte en Argentine ; Dilma Rousseff a été renversée sous un prétexte véritablement ridicule relatif à une procédure budgétaire ; l’ex-président Lula a également été emprisonné dans une tentative de destruction du Parti des Travailleurs (PT). En Bolivie, Evo Morales a subi des tentatives d’assassinat et un groupe de tueurs à gages européens a rejoint le pays afin d’essayer de diviser le pays, introduisant le racisme à Santa Cruz (dans l’est du pays), et propageant le message suivant : « Pourquoi voulez-vous payer des impôts à ces indiens de la sierra ? Vous devez prendre votre indépendance…»
Cependant, tout cela a échoué. Depuis le coup d’État contre le président Chávez en 2002, on a tenté de renverser le gouvernement bolivarien par absolument tous les moyens possibles. Cela n’a pas fonctionné au Venezuela. Après Correa, la gauche est restée divisée en Équateur. Et c’est désormais le tour du Nicaragua.
Le 22 juin dernier, une réunion extraordinaire de l’OEA s’est tenue, au cours de laquelle le rapport de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a été abordé. Comment évaluez-vous ce rapport ainsi que le rôle de l’OEA dans cette crise ?
Je vous invite à lire ce rapport et à tenter d’y trouver un seul commentaire sur la guerre médiatique, concernant par exemple les assassinats, les séquestrations ou les incendies qui sont en train de se produire au Nicaragua. Les atrocités également. C’est un rapport très partial qui ne vise qu’à nuire au gouvernement.
Malgré cela, le gouvernement a invité les experts médico-légaux de la CIDH à accompagner la Commission de Vérité, Paix et Justice de l’Assemblée Nationale du Nicaragua ainsi que les procureurs du pays afin d’examiner cas par cas et de déterminer si des poursuites judiciaires sont applicables. Que l’on aille devant les tribunaux et que justice soit faite et sera condamné qui sera condamné. C’est la seule manière de permettre aux disparus de reposer en paix.
Le Haut Commissaire aux Droits de l’homme des Nations Unies est si facilement arrivé à dire que la majorité des disparus avaient été du fait des forces gouvernementales. Mais sur quoi se base-t-il ? Il se base sur les communiqués de ce mouvement qui souhaite livrer une guerre psychologique. Il se base sur le mensonge afin de rendre le gouvernement responsable de tout et semer la terreur au sein de la population.
Alors l’opposition a déclaré qu’elle ne souhaitait établir un dialogue qu’en présence de médiateurs internationaux. Ainsi, l’OEA a été invitée, elle qui a depuis l’an dernier un plan de réforme du système électoral ; il y a une résolution du conseil qui était une demande, et c’est le calendrier qui est en ce moment même à l’étude. Les autorités vont soumettre cette proposition pour consultation auprès de toute la population, dans les régions, et elle sera prête pour janvier 2019. Ce processus est déjà en cours. Les experts médico-légaux invités peuvent également accompagner la Commission de Vérité, Paix et Justice.
Le Haut Commissaire aux Droits de l’homme des Nations Unies a été invité à contribuer à la fin des violences, pour permettre une sortie de crise institutionnelle, constitutionnelle et démocratique. Mais la position qui consiste à dire « que le gouvernement s’en aille et tout s’arrangera » porte un nom : il s’agit d’un coup d’État. Un gouvernement provisoire a même été formé ! Nommé par qui ? Par eux-mêmes ?
Plus précisément, qui peut politiquement profiter de la situation ?
Il existe un problème avec les dissidents sandinistes des années 90, qui sont les meneurs à la têtes de nombreuses actions violentes. Tous les sondages créditent ce parti d’1% des intentions de vote. Supposons qu’avec toutes mobilisations, barricades et actions armées ces intentions soient passées à 2%… Ils souhaitent le renversement violent du gouvernement, à l’aide de barricades, d’attaques armées et de destructions d’infrastructures sandinistes… car cela leur donne du pouvoir. Mais s’ils empruntaient la voie électorale, ils sont un parti à 2%. En conséquence, ce ne sont pas eux qui auront du poids au niveau électoral, mais les libéraux comme Alemán et Montealegre ainsi que d’autres forces politiques.
C’est pour cette raison qu’ils font obstacle au dialogue, à la solution qui signifierait le rétablissement de la confiance parmi les Nicaraguayens, la fin de la violence et la construction de la paix. Il faut laisser les gens décider ce qu’ils souhaitent voir au Nicaragua. Cette position consistant à dire « qu’ils s’en aillent maintenant » s’appelle un coup d’État.
Nous avons pu voir comment le congrès des États-Unis a annoncé avoir pris diverses mesures à l’encontre du Nicaragua ces derniers mois. Quels sont les effets de ces décisions ?
Le « Nica Act » a été voté à la Chambre des représentants, mais il n’a pas encore été approuvé par le Sénat, si bien qu’il n’a pas encore eu d’impact. Il a été porté par des groupes cubo-étasuniens au Texas. On le doit également à la représentante Ros-Lehtinen de Miami, au sénateur Marco Rubio, au sénateur Menendez du New-Jersey. Ce ne sont que des cubo-étasuniens qui défendent la position du « changement de régime » au Nicaragua.
Je crois que ces cubains-nord-américains de la droite de Miami préféraient attaquer directement Cuba. Mais comme ils n’arrivent pas à trouver une porte d’entrée, ils ciblent le Nicaragua. C’est la raison pour laquelle, ils encouragent et financent ce mouvement. Par ailleurs, sur la colline du Capitole à Washington, l’organisme officiel états-unien « Dotation Nationale pour la Démocratie » – NED –, a injecté ces dernières années, 4 millions de dollars dans plusieurs associations. Nous mettons en évidence le cas de Félix Maradiaga, un individu financé par les USA et patron d’un Institut d’Études Politiques, impliqué avec une mafia criminelle, la bande à Christian Josué Mendonza, alias « el Viper » qui a été recruté pour faire le sale boulot de promouvoir le coup. Nous parlons d’assassinats, séquestrations de personnes, de véhicules avec leurs passagers, incendies de bâtiments publics et extorsion. L’instigateur intellectuel, c’est le dirigeant Félix Maradiaga, qui a annoncé son retour des États-Unis, où il exerce des fonctions de lobbying. On l’attend toujours. Certains affirment que c’est le candidat de la CIA pour présider le Nicaragua.
Qui s’est également précipité sur le Nicaragua ? C’est le patron d’une clique de criminels de la Mara M-18 du Salvador, Oscar Antonio Rivas, alias « El Diablo », embauché avec son gang d’à peu près 30 éléments, ayant comme but de semer la terreur au Nicaragua en soutien au putschisme.
En ce qui concerne le gouvernement états-unien, c’est Bob Corker, le Sénateur du Tennessee et président de la Commission des Affaires Étrangères du Sénat des USA, qui a envoyé Caleb McCarry, le patron de son staff, à Managua pour un programme de réunions. Alors, quelque chose de très intéressant y ressort : le président de la Commission des Affaires Étrangères avec le soutien du Département d’État, se sont déclarés en faveur du dialogue, c’est-à-dire, en ignorant l’opposition putschiste et en affirmant que la seule sortie de crise du Nicaragua est le dialogue et la démocratie qui en découle. En ce moment la politique du Département d’État américain, coïncide avec celle du Vatican, qui est de soutenir le dialogue.
Quelle est l’influence des médias dans la perception qui domine l’opinion publique sur la situation de votre pays ?
Il y a une guerre psychologique basée dans le mensonge. C’est une guerre des médias et des réseaux sociaux. Par exemple, les cagoulés que les médias hégémoniques présentent comme manifestants pacifiques, ont assassiné un sandiniste qui démantelait les barricades. Ils l’ont aspergé d’essence et mis le feu. Comme si cela ne suffisait pas, ils se sont mis à applaudir et à siffler de joie. Après, les terroristes ont mis une canette dans sa main carbonisée et ont hurlé « Ceci est ton trophée Fils de Pute » et laissèrent le cadavre avec un drapeau du FSLN – Front Sandiniste de Libération National – dessus. Un individu, parmi les cagoulés a dit : « ce cadavre est un trophée ». Nous assistons choqués ainsi, à une barbarie seulement comparable à celle de« Daech ». Ils séquestrent, ils dénudent et ils torturent des gens, en produisant des vidéos d’une barbarie inouïe. Ce sont des méthodes similaires à celles que les nord-américains infligeaient aux prisonniers d’Abu Ghraib – Irak.
Il y a même quelques Évêques à Managua, qui sont des mentors du racisme. Ceci est froidement illustré par une récente tragédie, enregistrée sur une vidéo : quelques individus cagoulés ont séquestré Sander Bonilla, membre d’un groupe musical de la ville de Léon. Il a été dénudé, frappé et torturé, pour le simple fait d’être sandiniste. Il apparaît sur la vidéo, torse nu et visage horriblement ensanglanté. Un sinistre témoin clérical en soutane blanche, accompagne la scène d’horreur, où son seul souci était de dire qu’« il ne fallait pas poster la vidéo sur internet » [1].
Il y a encore un autre cas, d’un garçon sandiniste de 15 ans, qui a été dénudé et peint, sur son torse, ses parties génitales et son fessier, en bleu et blanc – les couleurs du drapeau nicaraguayen –, tandis que les agresseurs disaient : « il tremble le petit et il pleure…c’est ça ton drapeau, fils de pute ! ». Alors que le gamin tremblait de panique sur tout son corps, les vandales lui disaient « cours, cours avant qu’on te tue ! » [2].
Parfois, dans certains quartiers et certaines villes, nous trouvons les maisons des sandinistes, marquées par un « X », comme si un pogrom se préparait. Cela nous rappelle un des épisodes le plus sombre de l’Histoire du XXème siècle, celui des pogroms nazis contre les juifs et l’affichage de l’étoile de David, signalant leurs maisons. C’est cette persécution contre les juifs, qui les a en partie emmenés vers l’Holocauste. Toutes ces méthodes n’ont qu’une seule finalité : créer la peur et la terreur parmi la population.
Les commentateurs et analystes politiques, même certains appartenant aux rangs de la gauche, soulèvent que le modèle de développement du Nicaragua n’est pas viable…Que répondez-vous à ces critiques ?
C’est très simple. Les accréditations de gauche du MRS – Mouvement Rénovateur Sandiniste – ont expiré dans les années 1990, quand le mouvement a commencé à être financé par les USA et s’est allié à l’oligarchie nicaraguayenne et à sa politique de droite. C’est cela la vraie histoire ! C’est grâce à Julian Assange et à Wikileaks, que nous apprenons comment, déjà à cette époque, les membres du MRS visitaient l’ambassade états-unienne en vue d’obtention de fonds [3]. Comme vous le savez, Wikileaks a publié des télégrammes contenant des révélations sur le Département d’État Américain, qui nous éclairent sur ceux dans l’ombre, ceux qui tirent les ficelles.
J’ai quand même une analyse personnelle à faire. J’ai commencé à collaborer avec le FSLN en 1969. Dans les années 1960-70, une bonne partie de mes amis sandinistes ont été assassinés par la dictature. Juste après, arrive la guerre contre-révolutionnaire à l’encontre du Front au pouvoir qui approuvait la réforme agraire, l’alphabétisation, l’amélioration de la santé, etc. La situation était si grave que l’objectif était de survivre à l’agression de la CIA !
Rappelez-vous de 1984, au moment où le Congrès nord-américain coupe le financement des Contras et l’administration Reagan maintient quand-même son soutien. Cela s’est su après l’affaire Iran-Contras ou « Irangate ». Mais, ces faits ont caché le véritable scandale de la CIA et de la cocaïne ! Ce sont ces avions chargés d’armes, arrivés au Honduras et au Costa Rica et repartis pleins à craquer de cocaïne, qui ont financé la guerre pendant 6 longues années dans mon pays. Une fois ces avions arrivés aux USA, où s’est trouvée la façon de transformer la cocaïne – produit d’élite très cher – en un produit de distribution massive – le crack. Comme conséquence il y a eu une épidémie de crack, surtout dans les quartiers pauvres afro-américains des villes états-uniennes, dans les années 1980…l’argent de ce trafic servait à financer la guerre au Nicaragua, notamment pour aider les Contras. C’est ce qu’on appelle, une guerre à faible intensité.
En ce temps-là, notre objectif était de survivre. L’inflation a culminé à 34700% – moyenne annuelle de 13109 % pour l’année 1987 [4]. L’argent n’avait aucune valeur ! Les syndicats ont même reçu la demande de payer les salaires en « RHS », riz, haricots et sucre, plutôt qu’en argent. Une revendication qui était parfaitement minimaliste, mais due à cette guerre prolongée, de faible intensité et que le peuple a réussi à endurer et à vaincre. En 1990, le peuple s’est déplacé aux urnes et a voté pour la fin de la guerre, car il était persuadé que les USA auraient poursuivi l’agression vers le Nicaragua, au cas où le Front Sandiniste l’aurait emporté. À la suite de ce processus, nous avons réussi à conquérir la paix et sous la direction du commandant Ortega, s’est produite la première passation pacifique d’une force politique à une autre, contraire au cours de l’Histoire du pays. Depuis, nous avons enduré 16 ans de gouvernements et de politiques néo-libérales.
Quel est le contenu révolutionnaire du gouvernement depuis 2007 ? L’accomplissement des objectifs pour le peuple que nous n’étions pas en mesure de remplir dans les années 80, à cause de l’agression : la réduction de la pauvreté extrême de 17% en 2005 à 14% en 2009, à 8% en 2014 et à 6% en 2016 ; l’augmentation réelle du salaire minimum de 40% ; santé et éducation universelle et gratuite ; réduction de l’analphabétisme de 4%. C’est pour y arriver, que beaucoup de gens se sont sacrifiés, avec leur souffrance et même avec leur mort, dans les années 60, 70 et 80. Nous avons réussi à améliorer la vie des femmes et des hommes pauvres. Nous étions en train de réussir !
Le FSLN a été élu démocratiquement en 2007…C’était comment, l’expérience de retourner au gouvernement ?
Pendant son premier jour au gouvernement, le Président Ortega a annoncé « santé universelle et gratuite »…dans le deuxième pays le plus pauvre d’Amérique Latine ! Ce nouveau système de santé a remplacé l’ancien régime de recouvrement des coûts, mis en place par les gouvernements néo-libéraux.
Concernant l’éducation, nous l’avons aussi rendue gratuite, en remplaçant le système néo-libéral, qui sous couvert d’autonomie des établissements, donnait aux directeurs scolaires, la « liberté » de pouvoir prélever plusieurs « services » et ainsi couper dans le budget de l’éducation. Il fallait payer pour passer un examen, pour s’inscrire à l’école, pour les médicaments nécessaires aux soins, pour les interventions et les matériels chirurgicaux…il y avait beaucoup de gens exclus. Comment faire pour éduquer ses enfants, alors que c’est payant, quand vous en avez 3 ou 4 ? Les politiques néo-libérales avaient réussi à détruire le service national de santé. Toutes nos mesures prises ce premier jour de gouvernement, sont allées dans le sens d’une redistribution significative par l’État.
En suivant, nous avons décidé d’une redistribution fondamentale de la richesse pour la société nicaraguayenne. Les États-Unis d’Amérique ne savent pas comment réparer leur système de santé. Comment le Nicaragua, deuxième pays le plus pauvre d’Amérique latine, pourrait le faire ? « Irréalisable, non ? » En effet, c’est un système très cher, mais quelqu’un qui appartient au troisième âge comme moi, y a droit.
Il y a eu aussi d’autres programmes de redistribution, comme « Zéro Faim », dont 200 mille femmes paysannes pauvres ont reçu une vache pleine, une cochonne pleine, des poules, des semences d’haricot, engrais, matériel agricole…et elles se sont transformées en femmes productrices. Elles ont ainsi pu, améliorer leur alimentation avec l’introduction de protéines animales, dont elles ne disposaient pas auparavant. Elles ont aussi amélioré leurs revenus, avec la vente des excédents sur le marché local.
Un jour, j’ai accompagné un groupe d’ambassadeurs européens, qui rendaient visite aux femmes du programme « Zéro Faim ». Pendant la visite et dans une Assemblée municipale, un des ambassadeurs a dit : « je comprends tout à fait comment ce système améliore votre alimentation avec un apport de protéines animales, ce qui vous n’aviez pas avant » ; « je comprends comment ce système améliore vos revenus avec les ventes d’excédents » ; « mais je ne sais pas si vos rapports avec les hommes se sont améliorés ». Alors une femme lui répondit : « monsieur l’ambassadeur, une vache ne finit pas avec le machisme, mais je peux vous dire, que les hommes nous respectent plus maintenant ».
Il y avait aussi des programmes comme celui de « Zéro Usure », un genre de microcrédit, sachant que ce type de prêts avoisine 30 à 40% de taux d’intérêt, alors qu’avec « Zéro Usure » le taux est de 5% à l’année et emprunts renouvelables.
Un autre exemple. Il y a au Nicaragua un manque de 900 mille logements : 500 mille à réparer et 400 mille logements neufs. Nous essayons ainsi, de faire ce qui est possible : nous construisons des logements pour les plus pauvres et nous subventionnons les hypothèques pour que les classes moyennes basses accèdent aux logements. Mais tout cela ne nous semblait pas assez, donc nous avons décidé d’améliorer la qualité des logements, pour faire en sorte que tout le monde puisse habiter dans un bon logement et par conséquent, réduire l’incidence de maladies.
Et le résultat de tout ça ? La pauvreté extrême – définie par la consommation des familles qui ont assez pour se maintenir en bonne santé – est passée de 17% en 2005, à 14% en 2009, puis à 8% en 2014 et finalement à 6% en 2016. Nous additionnons à tout cela, le fait que le Nicaragua est le pays le plus sûr d’Amérique Centrale et qui peut maintenir à distance le narcotrafic, qui agresse en permanence nos voisins du triangle nord – Salvador, Honduras et Guatemala.
Notre société prête assistance aux pauvres et l’analphabétisme s’est réduit de 4%. Ce sont les buts pour lesquels nos héros et martyrs, de la révolution des années 1960 et 1970, ont donné la vie et encore de ceux qui ont résisté à la contre-révolution de la CIA. C’est la raison pour laquelle dans les années 1980 on disait, qu’il fallait survivre, tandis que maintenant on pouvait dire, on avance.
À tous les messieurs qui font des critiques gratuites, je leur dit : « regardez le Nicaragua qui se construisait et le Nicaragua, qu’ils sont en train de détruire depuis le 18 avril».
Quels sont les enjeux dorénavant ?
L’économie s’est effondrée et les touristes ne vont plus revenir pendant longtemps. Nous avons mis presque 10 ans, à récupérer l’image du pays et à effacer la peur des voyageurs qui souhaitaient visiter le Nicaragua. Une réputation acquise dans les années 1980…Le tourisme s’est aussi effondré et 85 mille travailleurs sont « partis en vacances ».
Cette situation n’arrange personne, ni même les États-Unis. Le Nicaragua a été un pays de migration illégale insignifiante. Entre octobre 2015 et juillet 2016, ont été capturés par les gardes-frontières, 17 mille enfants non-accompagnés du Honduras, 15 mille du Salvador, 13 mille du Guatemala et seulement 186 du Nicaragua. Le Nicaragua n’était pas comme les autres pays centroaméricains, mais maintenant, la menace actuelle est qu’il devienne un pays violent, comme ceux du triangle nord.
NOTES:
[1] Sander Francisco Bonilla Zapata, raconte chaque minute de tortures physiques et psychologiques qu’il a enduré aux mains de ces individus sans pitié : http://managuartv.com/acusan-sacerdote-y-pastor-complices-de-tortura-ejecutada-por-maras-19/
[2] Regarder la vidéo : https://twitter.com/numamolina/status/1010361888633483264
[3] Extrait du télégramme : L’ambassade a réussi à encourager le leadership du MRS – le dissident du FSLN Herty Lewites et son successeur Edmundo Jarquin – à maintenir leur indépendance par rapport à Ortega. Jarquin possède comme un des objectifs premiers, démolir publiquement Ortega (…) – Encourager Jarquin à se maintenir dans la course et à continuer nos déclarations publiques, où les US considèrent le MRS comme une alternative démocratique viable. Le MRS nous a dit qu’ils ont des difficultés financières sévères. Jarquin estime qu’il peut gagner quelques points à Ortega, mais son manque de financement l’empêche de réussir. (Note : Nous croyons que Jarquin peut récupérer au moins 5-6% des voix du FSLN – assez pour changer la donne). » : http://wikileaks.ikiru.ch/mirror/cable/2006/09/06MANAGUA2044.html
[4] https://www.indexmundi.com/nicaragua/inflation_rate_(consumer_prices).html
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Traduit du castillan et de l’anglais par Rémi Gromelle et Paulo Correia pour le Journal Notre Amérique
Alex Anfruns – Rédacteur pour le Journal de Notre Amérique, lancé en janvier 2015
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