(Français) Gilets Jaunes: la Révolution d’avril?

ORIGINAL LANGUAGES, 8 Apr 2019

Paulo Correia | Investig’Action – TRANSCEND Media Service

1 Avr 2019 – Avril, c’est le mois de la Révolution des œillets au Portugal. Comme il serait beau de voir encore un avril du Peuple, pour le Peuple, cette fois-ci en France, contre les affaires et combines de milliardaires dans les hautes sphères financières en promiscuité avec Bercy et qui font du Peuple le spolié permanent. RIC, VIème République… je n’y entrevois qu’une seule chose : la vraie Démocratie ! C’est le temps d’avril, c’est le temps des Gilets Jaunes !

Sous la dictature

Né au Portugal en octobre 1973, j’ai pris conscience depuis très peu d’années de l’impact sur mon chemin de vie qu’a eu la connaissance d’avoir vécu mes six premiers mois de vie en dictature.

Les anciens m’ont raconté toute une série d’histoires de résistance et de persécutions, de tortures physiques d’opposants politiques par la police d’État « PIDE » et de censure totale sur ce qui se disait dans les rues et se publiait dans les journaux. En contraste avec les 41 ans de dictature assassine, persécutrice et oppressive, mon enfance et mon adolescence ont baigné dans une nouvelle École républicaine, fruit d’une Révolution pacifique.

Le symbole de la Paix offert par le Peuple aux libérateurs

Il s’agit de la Révolution des œillets du 25 Avril 1974, appelée ainsi grâce à l’action de Celeste Caeiro. Le patron du restaurant où elle travaillait dans la rue Braancamp à Lisbonne, donne en matinée un bouquet d’œillets à chaque employé -fleur destinée à être offerte aux clients ce jour-là, le jour du premier anniversaire du restaurant- et leur dit : « Rentrez chez vous puisque l’établissement sera fermé en raison de la Révolution ».

Lors de son trajet de retour Celeste croise les chars de combat dans son quartier du Chiado et demande à un soldat : « Que se passe-t-il ? » et le militaire lui répond : « Nous allons capturer Marcelo Caetano [le successeur du sinistre Salazar, décédé en 1970]. C’est une Révolution ! Est-ce que tu as une cigarette ? » Et elle rétorque : « Non, j’en ai pas. Si vous voulez, tenez. On peut offrir un œillet à n’importe qui ». En l’acceptant, le jeune soldat enfile la fleur au canon de son fusil -action d’une intense charge symbolique majeure. Elle se met aussitôt à distribuer les fleurs aux soldats qu’elle croise. La surnommée « Celeste des œillets » survit actuellement avec une retraite de 370 euros par mois.

Police politique et guerre : les devises de l’extrême-droite fasciste

Durant ce jour de délivrance, quatre morts ont été répertoriés quand des membres de la terrifiante police politique, la « PIDE/DGS » ont tiré sur la foule qui manifestait à l’extérieur de son siège à Lisbonne.

A cette époque, le Portugal était embourbé dans une guerre coloniale en Afrique -Angola, Mozambique et Guinée-Bissau- depuis treize ans (1961-1974), provoquant des massacres abominables parmi les Peuples Africains et un bilan désastreux de milliers de jeunes soldats portugais, la plupart sous les drapeaux de force -9 000 morts, 100 000 blessés dont 14 000 estropiés et 140 000 névrosés de guerre. Dans cette boucherie, la France de Charles de Gaulle marchandait des armes avec le Portugal de Oliveira Salazar, notamment 142 hélicoptères d’assaut « Alouette III ».

Le mouvement révolutionnaire de capitaines exaspérés par cette guerre coloniale sans fin, le MFA -Mouvement des Forces Armées-, a su regagner le respect du Peuple portugais par son action libératrice et pacifique. Ce sont aussi les militaires qui ont réuni les différentes tendances politiques dans un gouvernement civil, ont organisé des élections libres et ont promu la décolonisation de l’Afrique.

La toujours actuelle action des « socialistes » 

Une période trouble postrévolutionnaire et même contrerévolutionnaire a vu le jour dans un contexte de « guerre froide », où le KGB et la CIA essayaient de faire jouer leur influence -pour l’empire US il était impensable de voir un pays communiste dans l’ouest du continent européen.

La première trahison du « socialiste » Mário Soares se produit lors de son association avec les services de renseignements américains, laissant isolé le PCP -Parti Communiste Portugais-, responsable de la rédaction d’une bonne partie des articles de la nouvelle Constitution portugaise. Les communistes sont ainsi les seuls à défendre les conquêtes d’avril, alors qu’ils avaient passé 41 ans à résister contre la dictature, souvent torturés dans l’île-prison-forteresse au large de Peniche et envoyés pour mourir au bagne de Tarrafal, dans l’île de Santiago au Cap Vert.

La Liberté commence toujours avec un air de Fraternité

Pour survivre dans leur action militante, les communistes étaient obligés de vivre clandestinement avec des fausses identités et ainsi lutter à l’intérieur des usines des grands patrons bourgeois et dans les champs des grands exploitants agricoles de la région du sud, l’Alentejo -Grândola dans la région d’Alentejo est la ville de la Fraternité, chantée par Zeca Afonso en « Grândola, Vila Morena », une des chansons qui a donné à la radio le signal pour lancer les chars et les troupes révolutionnaires sur Lisbonne. La chanson a été enregistrée en France, chez « Strawberry Studios » à Hérouville (95), en octobre 1971.

Les financiers du FMI : les bourreaux de la démocratie

La Révolution a fait fuir le grand capital national et « l’aide » du FMI -Fonds Monétaire International- est venue imposer sa loi deux fois : en 1977 et 1983. Petit à petit, les conquêtes de la Révolution ont été rognées entre gouvernements de droite et socialistes, de plus en plus au centre et donc de moins en moins socialistes.

À plusieurs reprises, en tant qu’étudiant, j’ai intégré les manifestations des années 90 contre des examens discriminatoires d’accès à l’enseignement supérieur et contre les frais d’inscription à l’Université, de plus en plus importants. Toujours dans une liberté totale et une ambiance pacifique.

Mes deux pays

Venu étudier en France pendant deux ans, je n’étais à l’époque que portugais. Mes professeurs français d’Orléans, et surtout de Toulouse, ne cessaient de citer en cours les travaux scientifiques de ceux qui m’avaient enseigné la Géologie à la Faculté de Sciences de Lisbonne, très à la pointe dans ce domaine.

J’ai ainsi vécu une expérience d’égalité de l’enseignement portugais vis-à-vis du français, comme si je pouvais regarder mes collègues et les enseignants français les yeux dans les yeux, comme un symbole du respect mutuel et fraternel entre les Peuples, une expérience sûrement différente de celle subie par des milliers de portugais émigrés fuyant la dictature, la guerre coloniale et la misère, quelques décennies auparavant.

Entre Toulouse et Orléans, j’étais aussi ravi de constater l’extrême compétence du corps enseignant, au niveau de la transmission des savoirs scientifiques et des méthodes de travail -très exigeantes.

Fier d’une France rêvée

Ma vie personnelle m’a amené à épouser par amour ce magnifique pays : la France. Malheureux de voir le Peuple portugais, déjà massacré par 41 ans de dictature, à nouveau exploité par les grands patrons de la globalisation et par l’État lui-même, ajoutant à cela un sentiment fataliste qui baisse les yeux d’un grand nombre de citoyens résignés, j’étais fier d’intégrer ma nouvelle vieille République.

Heureux des traditions révolutionnaires et de la devise « Liberté-Egalité-Fraternité », heureux d’une langue et d’une culture révolutionnaire admirée dans le monde progressiste, reconnaissant des droits sociaux acquis par tant de morts et sacrifices de successives générations d’ouvriers, heureux des mouvements sociaux qui essayaient de les maintenir, ravi de voir la manifestation de la jeunesse française contre le CPE -Contrat Première Embauche, 2006- et paradoxalement -parce que cela venait de la même droite qui a essayé d’imposer le CPE- serein grâce aux mots de Dominique de Villepin au siège du Conseil de Sécurité de l’ONU avant la deuxième invasion d’Irak en 2003.

En apprenant l’Histoire de France sous une autre perspective que celle des enfants et jeunes de l’école républicaine française, j’ai compris que la dégradation des droits d’un petit pays comme le Portugal, entre la fin des années 80 et les années 2000, était beaucoup plus accélérée qu’en France : un pays plus riche, avec des corps intermédiaires et contre-pouvoirs encore importants à cette époque-là, avec une machine d’État plus dense et donc plus résistante aux nouveaux changements imposés par le néolibéralisme globalisé. Sur deux récits de politiques nationales, l’impression de savoir précocement ce qui va survenir en France au niveau de l’application de politiques capitalistiques est très présente chez moi.

L’UE actuelle n’est plus qu’un miroir des bourgeoisies financières

Il est inopportun d’accuser uniquement les institutions européennes des attaques dirigées contre les Peuples, car l’UE est le miroir des élites financières bourgeoises, françaises incluses. L’UE est ainsi l’instrument d’une puissance de frappe redoutable, constituée par la Banque Centrale Européenne -BCE- et la Commission Européenne non-élue, servant ainsi d’alibi aux dirigeants néolibéraux qui tentent de manipuler les gens peu informés, lorsque des réformes contre le Peuple doivent être appliquées. Un discours qui s’est généralisé dans tout le spectre politique français. Écartons les banquiers et les spéculateurs de l’UE financière ou quittons-la, mais arrêtons de culpabiliser un corps extérieur, alors que c’est à l’intérieur de chaque pays que se trouve l’adversaire le plus féroce.

Quand la Troïka -FMI + BCE- est intervenue au Portugal en 2011, le gouvernement de la droite néolibérale a appliqué les mesures d’austérité multipliées par deux, voire plus. Si la Troïka demandait : « Coupez dans la Santé 300 millions d’euros», la droite coupait 600 millions ! Quatre longues années comme ça, dans tous les secteurs publics du pays ! L’ennemi se veut plus féroce à l’intérieur car il doit convaincre les marchés financiers qu’il n’y a pas de doutes sur ses choix politiques. Sabotons et détruisons donc les marchés…

Révolution couleur gilet jaune : le Peuple se soulève !

Alors que je me disais : “Ça y est, je vais assister à grands pas à la dégringolade des acquis sociaux de mon nouveau pays” arrive ce Peuple français des campagnes, en route vers les ronds-points et les péages d’autoroute, qui lève les yeux et me reconnaît partie intégrante de cette grande nation. Marre de subir, de souffrir, de galérer, de perdre sur tous les fronts sociaux, de voir les services publics périr et disparaitre partout.

Parce qu’il se sait de plus en plus mal payé, précarisé, exploité, le Peuple se soulève ! Contre un président abject, qui défend une caste décadente et infâme, avec toujours la petite phrase à la bouche pour mépriser et agresser le Peuple, tandis qu’il rassure les oligarques et séduit ceux qui rêvent de l’être.

La noirceur répressive tombe sur le Peuple : police d’État et grands médias

« Médiocrates », ministres et ses acolytes d’un pouvoir érigé contre le Peuple n’ont pas attendu pour lancer une campagne de dénigrement du mouvement, couplée avec une sanglante et jamais vue répression policière, déjà pointée du doigt par les Nations Unies. Marquer les manifestants avec des produits incolores dans une solution chimique projetée sur la foule par les canons à eau ? Quelle est cette nouvelle race de bourreaux persécuteurs ?

Ceux qui trahissent et massacrent sans vergogne le Peuple ont, pour chaque semaine, un slogan d’accusation :

«

Acte I : des rigolos

Acte II : des poujadistes

Acte III : des casseurs

Acte IV : des manipulés

Acte V : d’extrême droite

Acte VI : une foule haineuse

Acte VII : d’extrême gauche

Acte VIII : des idiots

Acte IX : des antisémites

Acte X : des racistes

Acte XI : des antirépublicains

Acte XII : bientôt finis

Acte XIII : divisés

Acte XIV : à nouveau antisémites

Acte XV : manipulés par Poutine

Acte XVI : des fous furieux

Acte XVII : des cannibales

Acte XVIII : des nazis

Acte XIX : des violents

Acte XX : des martiens

On se demande si les Gilets Jaunes ne seraient de simples citoyens qui en ont assez d’être pris pour des cons ! » [1]

Mais pire que la liste des accusations est celle des agressions ! Nombre de victimes :

«

591 signalements

1 personne âgée à Marseille décédée

23 éborgnés

5 mains arrachées

233 blessures à la tête » [2]

Estimations :

2 000 blessés

2 000 jugements

800 condamnés à de la prison ferme

1 400 procès en attente

Horrifié par tout ça, deux cas me touchent symboliquement :

Les porte-drapeau de la Paix, les campagnes médiatico-répressives et l’armée

-Jérôme Rodrigues, le français de père portugais (famille plutôt catholique) et mère française (famille plutôt communiste) qui a provoqué la une des presses française et portugaise, a reçu une balle de « flashball » dans l’œil, alors qu’il n’était qu’à quelques mètres des corps d’intervention. Avec un discours clair, honnête et pacifique, il est devenu la cible de ceux qui savent que la seule façon de gagner sur le combat de la rue, c’est de radicaliser les esprits et ainsi lancer des vastes campagnes médiatico-répressives pour essayer d’enrayer le mouvement dans les cœurs friands de vrai changement.

L’exemple de la mise en scène du pillage/incendie du Fouquet’s le 16 mars, bizarrement semblable à celle de l’Arc de Triomphe le 1er décembre 2018, m’horripile. Il y a eu clairement des instructions supérieures pour laisser agir des éléments violents infiltrés dans le mouvement, alors qu’il y a de plus en plus de témoignages qui constatent la participation de policiers déguisés en manifestants/pilleurs/casseurs.

-Geneviève Legay, cette Femme de 73 ans, dézinguée par les CRS dans la ville de Nice, le samedi 23 mars. Interviewée quelques minutes auparavant, elle était pleine d’espoir et motivée à lutter justement pour le droit de manifester -cette manifestation a été interdite à la demande de M. Estrosi, le maire de la droite conservatrice de Nice.

Tenant le drapeau symbole de la Paix levé, cette dame est renversée par les forces qui recevaient  sûrement « désordres ». Quel esprit tordu pourrait avoir telle machiavélique idée ? Alors qu’elle est diagnostiquée avec multi-fractures crâniennes, le micron-Macron président de rien du tout lui a adressé son message : « Je lui souhaite un prompt  rétablissement, et peut-être une forme de sagesse. ». Décryptage : « Eh vous, les retraités ! Rentrez chez vous et allez jouer aux cartes. Voyez de quoi je suis capable ! ». Cette manifestation était interdite, mais bientôt, si cela continue, ces quelques lignes d’indignation le seront aussi.

Fait particulier : l’armée avec laquelle le Peuple a appris à tisser un certain lien de confiance, le long de quelques décennies, a été déployée samedi dernier en vue de défendre des bâtiments publics. Un acte qui révèle la peur d’un système, synchrone avec la provocation du gouvernement aux Gilets Jaunes. Si jamais ce lien se rompt, qu’allons-nous devenir ?

Algérie, France : pour un monde des Peuples dignes !

Il n’y a plus d’issue ! Descendre dans les rues tous les samedis et ne rien lâcher ! L’exemple des marches protestataires pacifiques en Algérie doit aussi nous inspirer et nous remplir d’espoir. On est tous dans la même lutte, pour un monde des Peuples dignes ! Voilà le slogan du début du XXIème siècle.

Avril, c’est le mois de la Révolution au Portugal. Comme il serait beau de voir encore un avril du Peuple, pour le Peuple, cette fois-ci en France, contre les affaires et combines de milliardaires dans les hautes sphères financières en promiscuité avec Bercy et qui font du Peuple le spolié permanent. RIC, VIème République…je n’y entrevois qu’une seule chose : la vraie Démocratie !

C’est le temps d’avril, c’est le temps des Gilets Jaunes. J’veux du soleil ! [3]

N.B. –Si rien ne bouge d’ici le 26 mai, continuons à nous mobiliser chaque samedi, choisissons une liste humaniste qui soit clairement contre les idées de LRM/ Macron et allons voter aux Européennes.

[1]- Gilets Jaunes de Suisse Nous sommes le Peuple

[2]- David Dufresne

[3]- Film de Gilles Perret et François Ruffin. Sortie nationale le 3 avril.

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Paulo Correia est musicien, ex-géologue pétrolier et collaborateur de la rédaction au Journal Notre Amérique – Investig’Action. Il co-anime avec ses chroniques d’opinion le blog « Ideia perigosa – Idée dangereuse » .

 

 

 

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