(Français) Les gouvernements occidentaux ont financé un important réseau de propagande en Syrie
ORIGINAL LANGUAGES, 19 Oct 2020
Ben Norton | Investig'action - TRANSCEND Media Service
Des services de renseignements occidentaux financés par les gouvernements ont formé des leaders de l’opposition syrienne, publié des articles dans des médias allant de la BBC à Al Jazeera et dirigé un groupe de journalistes. Une foule de documents ont été divulgués, révélant ce réseau de propagande.
13 Oct 2020 – Des documents ayant fait l’objet d’une fuite montrent comment des sous-traitants du gouvernement britannique ont développé une infrastructure de propagande avancée pour assurer le soutien de l’Occident à l’opposition politique et armée de la Syrie.
Pratiquement tous les aspects de l’opposition syrienne ont été cultivés et vendus par des sociétés de relations publiques soutenues par les gouvernements occidentaux, de leurs récits politiques à leur image de marque, de ce qu’ils disaient à l’endroit où ils le disaient.
Les dossiers divulgués révèlent comment les services de renseignement occidentaux ont joué des médias comme d’un violon, en élaborant soigneusement la couverture médiatique en anglais et en arabe [et en français, NdT] de la guerre contre la Syrie pour produire un flux constant de couverture pro-opposition.
Des sous-traitants américains et européens ont formé et conseillé les dirigeants de l’opposition syrienne à tous les niveaux, des jeunes militants des médias aux chefs du gouvernement parallèle en exil. Ces firmes ont également organisé des interviews de dirigeants de l’opposition syrienne sur des chaînes de télévision établies telles que la BBC et Channel 4.
Plus de la moitié des pigistes utilisés par Al Jazeera en Syrie ont été formés dans le cadre d’un programme conjoint du gouvernement américain et britannique appelé Basma, qui a produit des centaines de militants à employer dans les médias d’opposition syriens.
Des sociétés de relations publiques des gouvernements occidentaux ont non seulement influencé la façon dont les médias ont couvert la Syrie, mais comme le révèlent les documents fuités, elles ont produit leurs propres pseudo-informations de propagande pour les diffuser sur les principaux réseaux de télévision du Moyen-Orient, notamment BBC Arabic, Al Jazeera, Al Arabiya et Orient TV.
Ces sociétés financées par le Royaume-Uni ont fonctionné comme des relais de relations publiques pour l’opposition armée syrienne dominée par l’extrémisme. Un sous-traitant appelé InCoStrat a déclaré qu’il était en contact permanent avec un réseau de plus de 1 600 journalistes et « influenceurs » internationaux, et qu’il les utilisait pour faire passer des messages favorables à l’opposition.
Un autre sous-traitant du gouvernement occidental, ARK, avait élaboré une stratégie pour « relooker » l’opposition armée salafiste-jihadiste syrienne en « adoucissant son image ». ARK s’est vanté de fournir une propagande d’opposition qui « passait presque tous les jours » sur les grandes chaînes de télévision de langue arabe.
Pratiquement tous les grands médias occidentaux ont été influencés par la campagne de désinformation financée par le gouvernement britannique, et révélée par la multitude de documents ayant fait l’objet de fuites, du New York Times au Washington Post, de CNN au Guardian, de la BBC à Buzzfeed.
Les dossiers confirment les reportages de journalistes, dont Max Blumenthal de Grayzone sur le rôle d’ARK, le sous-traitant du gouvernement américain et britannique, dans la popularisation des Casques blancs dans les médias occidentaux. ARK a géré les comptes des Casques blancs dans les médias sociaux et a contribué à faire de ce groupe financé par l’Occident une arme de propagande clé de l’opposition syrienne.
Les documents fuités ont été principalement produits sous les auspices du Foreign Office (ministère britannique des affaires étrangères). Toutes les entreprises nommées dans les dossiers avaient été engagées par le gouvernement britannique, mais beaucoup d’entre elles menaient également des « projets à donateurs multiples » qui recevaient des financements des gouvernements des États-Unis et d’autres pays d’Europe occidentale.
En plus de démontrer le rôle que ces courroies de transmission des renseignements occidentaux ont joué dans la couverture médiatique de la Syrie, les documents mettent en lumière le programme du gouvernement britannique visant à former et à armer les groupes rebelles dans le pays.
D’autres documents montrent comment Londres et les gouvernements occidentaux ont travaillé ensemble pour construire une nouvelle force de police dans les zones contrôlées par l’opposition.
Nombre de ces groupes d’opposition soutenus par l’Occident en Syrie étaient des salafistes extrémistes. Certains des sous-traitants du gouvernement britannique dont les activités sont exposées dans ces documents divulgués soutenaient en fait la filiale syrienne d’Al-Qaïda, Jabhat al-Nusra, et ses ramifications fanatiques.
Les documents ont été obtenus par un groupe se faisant appeler Anonymous, et ont été publiés dans une série de dossiers intitulés « Op. HMG [Her Majesty’s Government] Trojan Horse : De l’Integrity Initiative aux opérations secrètes dans le monde entier ». Partie 1 : Apprivoiser la Syrie ». Les auteurs anonymes des fuites ont déclaré qu’ils visaient à « exposer les activités criminelles du Foreign Office et des services secrets britanniques », en ajoutant : « Nous déclarons la guerre au néocolonialisme britannique ! »
The Grayzone n’a pas été en mesure de vérifier de manière indépendante l’authenticité des documents. Cependant, le contenu en coïncide clairement avec les reportages sur la déstabilisation occidentale et les opérations de propagande en Syrie publiés par ce média et beaucoup d’autres.
Le ministère britannique des affaires étrangères et l’armée mènent une guerre médiatique contre la Syrie
Un rapport fuité du Foreign Office britannique datant de 2014 révèle une opération conjointe avec le ministère de la défense et le ministère du développement international pour soutenir « les communications stratégiques, la recherche, le suivi et l’évaluation et le soutien opérationnel aux entités de l’opposition syrienne ».
Le Foreign Office a clairement indiqué que cette campagne consistait à « créer des liens de réseau entre les mouvements politiques et les médias », par la « construction de plateformes médiatiques locales indépendantes ».
Le gouvernement britannique avait prévu « un mentorat, une formation et un accompagnement pour une meilleure prestation de services médiatiques, y compris des médias numériques et réseaux sociaux ».
Son objectif était de « fournir des formateurs en relations publiques et en gestion des médias, ainsi que du personnel technique, comme des cameramen, des webmasters et des interprètes », ainsi que de la « production de discours, de communiqués de presse et d’autres communications médiatiques ».
Un document supplémentaire du gouvernement de 2017 explique clairement comment la Grande-Bretagne a financé « la sélection, la formation, le soutien et le mentorat en communication de militants syriens qui partagent la vision britannique pour une Syrie future… et qui respecteront un ensemble de valeurs conformes à la politique britannique ».
Cette initiative impliquait un financement du gouvernement britannique « pour soutenir l’activisme médiatique syrien populaire dans les sphères de l’opposition civile et armée », et visait les Syriens vivant dans les territoires d’opposition « extrémistes et modérés ».
En d’autres termes, le ministère britannique des affaires étrangères et l’armée ont élaboré des plans pour mener une guerre médiatique globale contre la Syrie. Pour établir une infrastructure capable de gérer le blitz de propagande, la Grande-Bretagne a payé une série de sous-traitants gouvernementaux, dont ARK, The Global Strategy Network (TGSN), Innovative Communication & Strategies (InCoStrat) et Albany.
Les travaux de ces entreprises se chevauchaient, et certaines collaboraient dans des projets visant à cultiver l’opposition syrienne.
Le sous-traitant gouvernemental occidental ARK joue des médias comme d’un violon
L’un des principaux sous-traitants du gouvernement britannique derrière le programme de changement de régime en Syrie s’appelait ARK (Analysis Research Knowledge).
ARK FZC est basé à Dubaï, dans les Émirats Arabes Unis. Il se présente comme une ONG humanitaire, affirmant qu’il « a été créé pour aider les plus vulnérables », en établissant une « entreprise sociale, responsabilisant les communautés locales par l’apport d’interventions flexibles et durables pour créer une plus grande stabilité, des opportunités et de l’espoir pour l’avenir ».
En réalité, ARK est une firme de renseignement qui fonctionne comme un bras de l’interventionnisme occidental.
Dans un document fuité qu’il avait déposé auprès du gouvernement britannique, ARK a déclaré que « depuis 2012, il s’est concentré sur la mise en place de programmes efficaces, politiquement et politiquement sensibles aux conflits en Syrie pour les gouvernements du Royaume-Uni, des États-Unis, du Danemark, du Canada, du Japon et de l’Union européenne ».
ARK s’est vanté de superviser des contrats d’une valeur de 66 millions de dollars pour soutenir les efforts d’opposition en Syrie.
Sur son site web, ARK liste tous ces gouvernements comme clients, ainsi que les Nations-Unies.
Dans ses opérations en Syrie, ARK a travaillé avec un autre sous-traitant britannique appelé The Global Strategy Network (TGSN), qui est dirigé par Richard Barrett, un ancien directeur de la lutte contre le terrorisme mondial au MI6.
ARK avait apparemment des agents sur le terrain en Syrie au début de la tentative de changement de régime en 2011, rapportant au Foreign Office britannique que « le personnel d’ARK est en contact régulier avec des activistes et des acteurs de la société civile initialement rencontrés lors du déclenchement des manifestations au printemps 2011″.
Le sous-traitant britannique s’est vanté d’un « vaste réseau d’acteurs de la société civile et communautaire qu’ARK avait aidés par le biais d’un centre de renforcement des capacités spécialisé qu’ARK avait établi à Gaziantep », une ville du sud de la Turquie qui avait été une base d’opérations de renseignement contre le gouvernement syrien.
ARK a joué un rôle central dans le développement des bases du récit de l’opposition politique syrienne. Dans un document fuité, la firme s’est attribuée le mérite du « développement d’un récit central de l’opposition syrienne », qui a apparemment été élaboré au cours d’une série d’ateliers avec les dirigeants de l’opposition, parrainés par les gouvernements américain et britannique.
ARK a formé tous les niveaux de l’opposition syrienne à la communication, depuis des « ateliers de journalisme citoyen avec des activistes des médias syriens, jusqu’au travail avec des membres de la Coalition nationale pour développer un récit de communication de base ».
Le cabinet a même supervisé la stratégie de relations publiques du Conseil militaire suprême (CMS), la direction de la branche armée officielle de l’opposition syrienne, l’Armée syrienne libre (ASF). ARK a créé une campagne de relations publiques complexe pour « donner une nouvelle image au CMS afin de le distinguer des groupes d’opposition armés extrémistes et d’établir l’image d’un corps militaire fonctionnel, inclusif, discipliné et professionnel ».
ARK a admis qu’il cherchait à blanchir l’opposition armée syrienne, qui avait été largement dominée par les Salafi-jihadistes, en « adoucissant l’image du CMS ».
ARK a pris la tête du développement d’un réseau massif de militants des médias d’opposition en Syrie, et s’est ouvertement attribué le mérite d’avoir inspiré des manifestations à l’intérieur du pays.
Dans ses centres de formation en Syrie et dans le sud de la Turquie, le sous-traitant du gouvernement occidental a déclaré : « Plus de 150 militants ont été formés et équipés par ARK sur des sujets allant des bases du travail avec des caméras, de l’éclairage et du son à la production de reportages, à la sécurité journalistique, à la sécurité en ligne et à la déontologie ».
La firme a inondé la Syrie de propagande d’opposition. En seulement six mois, ARK a rapporté que 668 600 de ses produits imprimés avaient été distribués en Syrie, y compris « des affiches, des dépliants, des brochures d’information, des livres d’activités et autres matériels liés à la campagne ».
Dans un document sur les opérations de communication des sous-traitants britanniques en Syrie, ARK et le service de renseignement britannique TGSN se sont vantés de superviser les médias suivants à l’intérieur du pays : 97 vidéastes, 23 rédacteurs, 49 distributeurs, 23 photographes, 19 formateurs dans le pays, huit centres de formation, trois bureaux de presse et 32 agents de recherche.
ARK a souligné qu’elle avait des « contacts bien établis » avec certains des plus grands médias du monde, citant Reuters, le New York Times, CNN, la BBC, le Guardian, le Financial Times, The Times, Al Jazeera, Sky News Arabic, Orient TV et Al Arabiya.
Le sous-traitant britannique a ajouté : « ARK fournit régulièrement, depuis 2012, du contenu aux principales chaînes de télévision par satellite panarabes et syriennes telles qu’Al Jazeera, Al Arabiya, BBC Arabic, Orient TV, Aleppo Today, Souria al-Ghadd et Souria al-Sha’ab ».
« Les produits ARK qui promeuvent les priorités du gouvernement de Sa Majesté en encourageant des changements d’attitude et de comportement sont diffusés presque chaque jour sur les chaînes panarabes », s’est vantée la firme. « En 2014, 20 reportages sur la Syrie ont été produits en moyenne par ARK chaque mois, et diffusés sur les grandes chaînes de télévision panarabes comme Al Arabiya, Al Jazeera et Orient TV ».
« ARK a des conversations presque quotidiennes avec les chaînes et des réunions hebdomadaires pour échanger et comprendre les préférences éditoriales », selon l’entité de renseignements occidentaux.
La firme s’est également attribuée le mérite d’avoir placé dix articles par mois dans des journaux panarabes tels que Al Hayat et Asharq Al-Awsat.
Le programme américano-britannique Basma cultive les militants
La guerre médiatique de l’opposition syrienne avait été organisée dans le cadre d’un projet appelé Basma. ARK a travaillé avec d’autres sous-traitants gouvernementaux occidentaux par l’intermédiaire de Basma afin de former des militants d’opposition syrienne.
Grâce au financement des gouvernements américain et britannique, Basma est devenu une plateforme extrêmement influente. Sa page Facebook en arabe compte plus de 500 000 adeptes, et sur YouTube, elle a également attiré un grand nombre de personnes.
Les principaux médias grand public ont dépeint à tort Basma comme une « plate-forme de journalisme citoyen syrien » ou un « groupe de la société civile travaillant pour une « transition libératrice et progressive vers une nouvelle Syrie ». En réalité, il s’agissait d’une opération d’astroturfing [*] du gouvernement occidental conçue pour cultiver des propagandistes de l’opposition.
Neuf des seize pigistes utilisés par Al Jazeera en Syrie avaient été formés dans le cadre de l’initiative Basma du gouvernement américain et britannique, ce dont ARK s’est vanté dans un document fuité.
Dans un rapport précédent pour le Foreign Office déposé trois ans seulement après le début de son travail, ARK affirmait avoir « formé plus de 1 400 bénéficiaires, représentant plus de 210 organisations bénéficiaires dans plus de 130 ateliers, et déboursé plus de 53 000 équipements individuels » dans un vaste réseau étendu « à l’ensemble des 14 gouvernorats de Syrie », ce qui couvrait des zones détenues par l’opposition et le gouvernement.
Le sous-traitant occidental a publié une carte mettant en évidence son réseau de pigistes et d’activistes médiatiques et leurs relations avec les Casques blancs, ainsi qu’avec les forces de police nouvellement créées dans les zones de Syrie contrôlées par l’opposition.
Dans le cadre de ses formations, ARK a formé des porte-parole de l’opposition, leur a appris à parler avec la presse, puis a aidé à organiser des interviews avec les principaux médias de langue arabe et anglaise.
ARK a décrit sa stratégie « pour identifier des porte-parole de gouvernance civile crédibles et modérés qui seront promus comme interlocuteurs privilégiés des médias régionaux et internationaux. Ils se feront l’écho des messages clés liés aux campagnes locales coordonnées dans tous les médias, les plateformes du consortium étant en mesure de diffuser également ces messages et d’encourager d’autres médias à les reprendre ».
En plus de travailler avec la presse internationale et de cultiver des leaders de l’opposition, ARK a contribué à développer une superstructure médiatique d’opposition massive.
ARK a déclaré avoir été « un acteur clé dans la mise en œuvre d’un effort à donateurs multiples pour développer un réseau de stations de radio FM et de magazines communautaires en Syrie depuis 2012″. Le sous-traitant a travaillé avec 14 stations FM et 11 magazines en Syrie, y compris des radios en langue arabe et kurde.
Pour diffuser les émissions de l’opposition à travers la Syrie, ARK a conçu ce qu’elle a appelé des kits « Radio in a Box » (RIAB) en 2012. La société s’est attribuée le mérite de fournir du matériel à 48 sites de diffusion.
ARK a également fait circuler jusqu’à 30 000 magazines par mois. Il a indiqué que « les magazines soutenus par ARK étaient les trois plus populaires dans la ville d’Alep ; le magazine le plus populaire dans la ville de Homs et le magazine le plus populaire à Qamishli ».
Un organe de propagande de l’opposition syrienne directement géré par ARK appelé Moubader a développé un énorme public sur les réseaux sociaux, y compris plus de 200 000 personnes sur Facebook. ARK imprimait 15 000 exemplaires par mois du magazine Moubader « sur papier de haute qualité » et le distribuait « dans toutes les régions de Syrie tenues par l’opposition ».
Le sous-traitant britannique TGSN, qui avait travaillé aux côtés d’ARK, avait développé son propre organe de presse appelé « Bureau des médias des forces révolutionnaires de Syrie (Revolutionary Forces of Syria Media Office, RFS) », comme le montre un document fuité. Cela confirme un reportage publié en 2016 dans The Grayzone par Rania Khalek, qui avait obtenu des courriels montrant comment le bureau des médias RFS, soutenu par le gouvernement britannique, avait offert de payer un journaliste un montant stupéfiant, 17 000 dollars par mois, pour produire de la propagande pour les rebelles syriens.
Une autre fuite montre qu’en un an seulement, en 2018 – qui était apparemment la dernière année du programme d’ARK pour la Syrie – la firme a facturé au gouvernement britannique le montant stupéfiant de 2,3 millions de livres sterling.
Cette énorme opération de propagande d’ARK a été dirigée par Firas Budeiri, qui avait auparavant été directeur pour la Syrie de l’ONG internationale Save the Children, basée au Royaume-Uni.
40 % de l’équipe du projet Syrie d’ARK étaient des citoyens syriens et 25 % étaient des Turcs. La firme a déclaré que le personnel de l’équipe syrienne avait « une grande expérience de la gestion de programmes et de la conduite de recherches financées par de nombreux clients gouvernementaux différents au Liban, en Jordanie, en Syrie, au Yémen, en Turquie, dans les territoires palestiniens, en Irak et dans d’autres États touchés par des conflits ».
La firme occidentale ARK cultive les Casques blancs « pour garder la Syrie dans l’actualité »
Le sous-traitant occidental ARK a été une force centrale dans le lancement de l’opération « Casques blancs ».
Les documents divulgués montrent qu’ARK gérait les pages Twitter et Facebook de la Défense civile syrienne, plus connue sous le nom de Casques blancs.
ARK s’est attribué le mérite d’avoir développé « une campagne de communication internationale conçue pour sensibiliser le monde entier aux équipes (des Casques blancs) et à leur travail qui sauve des vies ».
ARK a également facilité les communications entre les Casques blancs et The Syria Campaign, une société de relations publiques basée à Londres et à New York qui a contribué à populariser les Casques blancs aux États-Unis.
C’est apparemment « à la suite de discussions avec ARK et les équipes » que The Syria Campaign « a choisi la défense civile pour mener sa campagne afin de maintenir la Syrie dans l’actualité », a écrit la firme dans un rapport pour le Foreign Office.
« Avec les conseils d’ARK, TSC (The Syria Campaign) a également participé aux sessions de formation de défense civile d’ARK pour créer du contenu médiatique pour sa campagne #WhiteHelmets, qui a été lancée en août 2014 et qui est devenue virale depuis », a ajouté le sous-traitant occidental.
En 2014, ARK a produit un documentaire de longue durée sur les Casques blancs, intitulé « Digging for Life », qui a été diffusé à plusieurs reprises sur Orient TV.
Alors qu’elle gérait les comptes des Casques blancs sur les réseaux sociaux, ARK s’est vantée d’augmenter le nombre d’adeptes et de vues sur la page Facebook du conseil municipal d’Idlib.
La ville syrienne d’Idlib avait été reprise par Jabhat al-Nusra, une filiale d’Al-Qaïda, qui a ensuite exécuté publiquement des femmes accusées d’adultère.
Tout en aidant efficacement ces groupes extrémistes alignés sur Al-Qaïda, ARK et le service de renseignement britannique TGSN ont également signé un document avec le Foreign Office, s’engageant de façon hilarante à suivre les « directives britanniques sur la sensibilité au genre » et à « veiller à ce que le genre soit pris en compte dans le renforcement des capacités et le développement des campagnes ».
Préparation du terrain pour une instrumentalisation de la loi en Syrie
Un autre document divulgué montre la société ARK, soutenue par le gouvernement occidental, révélant qu’en 2011, elle a travaillé avec un autre sous-traitant gouvernemental appelé Tsamota pour aider à développer la Commission syrienne pour la justice et la responsabilité (Syrian Commission for Justice and Accountability, SCJA). En 2014, la SCJA a changé de nom pour devenir la Commission pour la justice internationale et la responsabilité (Commission for International Justice and Accountability, CIJA).
The Grayzone a révélé que la CIJA était une organisation de changement de régime financée par les gouvernements occidentaux, dont les enquêteurs collaboraient avec Al-Qaïda et ses alliés extrémistes afin de mener une guerre légale contre le gouvernement syrien.
ARK a noté que le projet a initialement fonctionné « avec un financement de démarrage du UK Conflict Pool pour soutenir la formation d’enquêteurs syriens sur les crimes de guerre » et a depuis « grandi pour devenir une composante majeure de l’architecture de la justice transitionnelle en Syrie ».
Depuis que les États-Unis, l’Union Européenne et leurs alliés du Moyen-Orient ont perdu la phase militaire de leur guerre contre la Syrie, la CIJA a pris l’initiative d’essayer de prolonger la campagne de changement de régime par la voie juridique.
InCoStrat crée un réseau de médias, les aide à interviewer Al-Qaida
Dans les documents divulgués, un autre sous-traitant du gouvernement britannique appelé Innovative Communications Strategies (InCoStrat) s’est vanté d’avoir construit un énorme « réseau de plus de 1600 journalistes et personnes d’influence ayant un intérêt envers la Syrie ».
InCoStrat a souligné qu’il « gérait et réalisait un projet à donateurs multiples en soutien aux objectifs de la politique étrangère britannique » en Syrie, « fournissant spécifiquement un soutien de communication stratégique à l’opposition armée modérée ».
La société a révélé que les autres bailleurs de fonds du travail d’InCoStrat avec l’opposition en Syrie comprenaient le gouvernement américain, les Émirats Arabes Unis et des hommes d’affaires syriens anti-Assad.
InCoStrat a servi de liaison entre ses clients gouvernementaux et la Coalition nationale syrienne, le gouvernement parallèle soutenu par l’Occident que l’opposition avait essayé de créer. InCoStrat a conseillé les hauts dirigeants de ce régime fantôme syrien, et même dirigé le propre bureau de presse de la Coalition nationale depuis Istanbul, en Turquie.
L’entrepreneur occidental s’est attribué le mérite d’avoir organisé une interview de la BBC en 2014 avec Ahmad Jarba, le président de la Coalition nationale de l’opposition de l’époque.
La firme a ajouté que « des journalistes nous ont souvent contactés pour leur recherche de personnes appropriées à leurs programmes ». A titre d’exemple, InCoStrat a déclaré qu’elle avait aidé à introduire ses propres militants de l’opposition syrienne dans les reportages en arabe de la BBC. La société a ensuite ajouté : « Une fois les premiers contacts établis, nous avons encouragé les Syriens à maintenir les relations avec les journalistes de la BBC, au lieu de nous utiliser comme intermédiaire ».
Comme ARK, InCoStrat a travaillé en étroite collaboration avec la presse. La firme a déclaré qu’elle avait « une grande expérience dans le travail avec les médias arabes et internationaux », ajoutant qu’elle travaillait directement avec « des responsables de l’information régionale dans les principaux réseaux de télévision par satellite, les bureaux de presse et la presse écrite ».
« Des membres clés d’InCoStrat ont déjà travaillé comme correspondants au Moyen-Orient pour certaines des plus grandes agences de presse du monde, dont Reuters », a ajouté le sous-traitant occidental.
Tout comme ARK, InCoStrat a installé une vaste infrastructure médiatique. La société avait mis en place des bureaux pour les médias de l’opposition syrienne à Dera’a, en Syrie, à Istanbul et Reyhanli, en Turquie, et à Amman, en Jordanie.
InCoStrat a travaillé avec 130 journalistes à travers la Syrie, et a déclaré avoir plus de 120 reporters travaillant dans le pays, ainsi que « cinq autres porte-parole officiels qui apparaissent plusieurs fois par semaine à la télévision internationale et régionale ».
InCoStrat a également créé huit stations de radio FM et six magazines communautaires à travers la Syrie.
La firme a déclaré avoir pénétré l’opposition armée en développant « des relations solides avec 54 commandants de brigade sur le front sud de la Syrie », ce qui impliquait « un engagement quotidien et direct avec des commandants et leurs officiers à l’intérieur de la Syrie », ainsi qu’avec des officiers déserteurs passés aux unités de l’Armée libre syrienne (FSA) à Damas, ville détenue par le gouvernement.
Dans les documents divulgués, InCoStrat s’est vanté des interviews que ses reporters avaient organisées avec de nombreuses milices d’opposition armées, y compris Jabhat al-Nusra, une filiale d’Al-Qaïda.
Ne vous contentez pas de publier des articles dans les médias ; « créez un événement » pour construire vos propres scandales
Dans sa guerre médiatique contre Damas, InCoStrat a mené une double campagne qui consistait en ce qui suit : « a) Campagne de guérilla. Utiliser les médias pour créer l’événement. b) Tactiques de guérilla. Lancer un événement pour créer l’effet médiatique ».
L’entité de renseignement visait donc à utiliser les médias comme une arme pour faire avancer les revendications politiques de l’opposition syrienne.
Dans un cas, InCoStrat s’était attribué le mérite d’une campagne internationale réussie pour forcer le gouvernement syrien à lever son siège du bastion d’opposition extrémiste de Homs. Rania Khalek, collaboratrice de Grayzone, avait fait un reportage sur la crise de Homs, qui avait été assiégée par Damas après que les fondamentalistes sunnites d’extrême droite qui la contrôlaient aient commencé à perpétrer des massacres sectaires contre les minorités religieuses et à kidnapper des civils alaouites.
« Nous avons mis en relation des journalistes internationaux avec des Syriens vivant dans Homs assiégée », a expliqué InCoStrat. La firme a organisé une interview entre la chaîne britannique Channel 4 et un médecin de la ville, ce qui a contribué à attirer l’attention internationale, et finalement permis de mettre fin au siège.
Dans un autre cas, le sous-traitant britannique avait déclaré avoir « produit des cartes postales, des affiches et des rapports » comparant le gouvernement laïc de Bachar al-Assad aux fondamentalistes salafistes-jihadistes de Daesh. Il a ensuite « fourni un porte-parole syrien crédible, arabophone et anglophone, pour entamer le dialogue avec les médias ».
La campagne a été très réussie, selon InCoStrat : Al-Jazeera America et The National ont publié les affiches de propagande de la firme. Le sous-traitant britannique a également organisé des interviews sur le sujet avec le New York Times, le Washington Post, CNN, le Guardian, The Times, Buzzfeed, Al-Jazeera, Suriya Al-Sham et Orient.
Après le changement de régime, vient « Nation Building Inc. »
InCoStrat a apparemment participé à de nombreuses opérations de changement de régime soutenues par l’Occident.
Dans un document fuité, la firme a déclaré avoir contribué à former des organisations de la société civile au marketing, aux médias et aux communications en Afghanistan, au Honduras, en Irak, en Syrie et en Libye. Elle avait même formé une équipe de journalistes anti-Saddam Hussein à Bassora, en Irak, après l’invasion conjointe des États-Unis et du Royaume-Uni.
En plus d’avoir passé des contrats pour le Royaume-Uni, InCoStrat a révélé qu’il avait travaillé pour les gouvernements des États-Unis, de Singapour, de Lettonie, de Suède, du Danemark et de Libye.
Après que l’OTAN ait détruit l’État libyen dans une guerre de changement de régime en 2011, InCoStrat a été amené en 2012 à mener un travail de communication similaire pour le Conseil national de transition libyen, l’opposition soutenue par l’Occident qui cherchait à prendre le pouvoir.
Coordination avec les milices extrémistes, préparation des nouvelles pour « renforcer le récit de base »
Les documents divulgués jettent un éclairage supplémentaire sur un sous-traitant du gouvernement britannique appelé Albany.
Albany s’est vanté d’avoir « obtenu la participation d’un vaste réseau local de plus de 55 pigistes, reporters et vidéographes » pour influencer les récits des médias et promouvoir les intérêts de la politique étrangère britannique.
L’entreprise a contribué à la création d’un groupe médiatique d’opposition syrien influent appelé Enab Baladi. Fondée en 2011 dans le centre anti-Assad de Daraya, au début de la guerre, Enab Baladi a été vendu, de manière agressive, dans la presse occidentale comme une opération médiatique populaire syrienne.
En réalité, Enab Baladi était le produit d’un entrepreneur britannique qui avait pris la responsabilité de son évolution « d’une entité gérée par des amateurs à l’une des plus importantes organisations médiatiques syriennes ».
Albany coordonnait également les communications entre les médias d’opposition et les groupes d’opposition islamistes extrémistes en engageant un « chef de file (qui) jouissaitt d’une profonde crédibilité auprès de groupes clés, notamment (au nord) Failaq ash-Sham, Jabha Shammiyeh, Jaysh Idleb al Hur, Ahrar ash-Sham, (au centre) Jaysh al Islam, Failaq al Rahman, et (au sud) Jaysh Tahrir ». Nombre de ces milices étaient liées à Al-Qaïda et sont maintenant officiellement reconnues par le Département d’État américain et les gouvernements européens comme des groupes terroristes.
Contrairement à d’autres sous-traitants gouvernementaux occidentaux actifs en Syrie, qui ont souvent tenté de feindre un semblant d’équilibre, Albany a clairement fait savoir que ses reportages médiatiques n’étaient rien d’autre que de la propagande.
La société a admis qu’elle formait des militants des médias syriens à un « processus de salle de rédaction » unique en son genre, qui consistait à « organiser » les nouvelles en « collectant et en organisant des témoignages et des contenus qui soutiennent et renforcent le récit de base ».
En 2014, Albany s’est vanté de diriger l’équipe de communication de la Coalition nationale syrienne lors des pourparlers de paix de Genève.
Albany a également averti que des révélations sur le financement par les gouvernements occidentaux de ces organisations médiatiques d’opposition, qui étaient présentées comme des initiatives populaires, les discréditeraient.
Lorsque des courriels internes ont été divulgués, montrant que l’énorme plate-forme médiatique d’opposition Basma Syria était financée par les États-Unis et la Grande-Bretagne, Albany a écrit : « la marque Basma a été compromise suite à des fuites sur les objectifs des financements du projet ».
Les fuites sur les réseaux sociaux « ont porté atteinte à la crédibilité et à la fiabilité de la plate-forme existante », a écrit Albany. « La crédibilité et la confiance sont les devises clés des activités envisagées et pour cette raison, nous considérons qu’il est essentiel de rafraîchir l’approche si l’on veut que le contenu à diffuser soit efficace ». Le site web de Basma a été fermé peu après.
Ces dossiers démontrent clairement comment l’opposition syrienne était cultivée par les gouvernements occidentaux dans le cadre de leurs desseins impérialistes sur Damas, et était maintenue à flot avec des sommes d’argent ahurissantes qui provenaient des poches des contribuables britanniques – souvent au profit de miliciens fanatiques alliés à Al-Qaïda.
Alors que des procureurs néerlandais préparent des accusations de crimes de guerre contre le gouvernement syrien pour avoir repoussé les attaques, les dossiers divulgués rappellent le rôle majeur joué par les États occidentaux et leurs sous-traitants dans la destruction soigneusement orchestrée du pays.
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Ben Norton est journaliste, écrivain et cinéaste. Il est le rédacteur adjoint de The Grayzone et le producteur du podcast Moderate Rebels, qu’il co-anime avec l’éditeur Max Blumenthal. Son site Web est BenNorton.com.
Source originale: The Grayzone
Traduit de l’anglais par Entelekheia
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