(Français) Bernard Lecomte (1 Sep 1930 – 7 Août 2022): Un grand homme humaniste de l’économie sociale en Afrique

ORIGINAL LANGUAGES, 26 Sep 2022

Robin et Michelle Poulton - TRANSCEND Media Service

Adieu BERNARD LECOMTE : tu nous as quittés le 07 août 2022

Bernard le conseiller et accompagnateur – chez lui à Bonneville

Septembre 2022 – Chère Renée !

Chers enfants Lecomte !

Nous vous exprimons nos condoléances les plus attristées après la disparition d’un homme grand et important, qui a contribué énormément à la pratique et à la théorie de la lutte contre la pauvreté – surtout en Afrique. Un homme charmant aussi, Bernard était un modèle pour nous et un ami. Nous avons beaucoup aimé et beaucoup admiré Bernard Lecomte.

Nous avons admiré son engagement aux côtés des organisations paysannes, tout comme nous avons partagé sa colère contre la centralisation des états africains et le mal-développement imposé par les agences occidentaux en collusion avec leurs acolytes ministériels en Afrique.

SON OEUVRE

Ingénieur-conseil de profession, Bernard appuyait surtout les jeunes ruraux en Afrique de l’Ouest. Il avait travaillé avec Mamadou Dia et avec Louis-Joseph Lebret au Sénégal en 1958-1960, pour la planification à long terme ; plus tard à la Coopérative d’Etudes Industrielles et d’Aménagement du Territoire (CINAM) où nous l’avions connu pour la première fois ; au Centre d’Etudes Economiques et Sociales en Afrique de l’Ouest (CESAO) et ensuite avec les organisations paysannes à travers la sous-région. Bernard était Président de l’association internationale “Se Servir de la Saison Sèche en Savane et au Sahel” (Six S) de 1977 à 1990, travaillant en amitié proche avec l’autre Grand Bernard de l’économie sociale ouest-africaine, le regretté Bernard Lédéa Ouédraogo au Burkina Faso. Quel privilège pour nous d’avoir travaillé avec ces grands personnages de l’Economie Sociale Africaine !

Parmi ses nombreuses publications, Lecomte avait fait une critique cinglante de l’inefficacité des projets de trois ans financés par tous les soi-disant organisations d’assistance technique et financière : mais l’OCDE elle-même ne suit pas les conseils de cette analyse profonde,  encore moins le CEEAS de l’Union Européenne, le DfID britannique (qui n’existe plus), ou l’USAID – pas plus que les agences de développement des France, Allemagne, Japon, Australie, Autriche, Espagne, Belgique …..   encore que les Néerlandais et les Suisses sont plus réflêchis. Les ONG (organisations non-gouvernementales) et les OBC (organisations à base communautaire) savent bien que le projet de trois ans représente de l’argent perdu.   Les Blancs comptabilisent les dépenses sans s’intéresser aux impacts de leur argent. Si ce livre de Bernard Lecomte L’Aide par projet : limites et alternatives du Centre de développement de l’OCDE (1984 et 1986) était une lecture obligatoire pour tous les ministres Blancs, tous les comptables Blancs et tous les signataires Blancs de contrats dans les agences de développement, L’Afrique serait mieux partie.

Une solution, que j’ai maintes fois préconisée, serait d’engager 30% des fonds pour des programmes (non pas des ‘projets’) de 15 ans minimum, avec des tranches de paiement de trois ans et un monitoring non seulement des ‘résultats’ mais aussi des impacts (positifs et négatifs) des programmes financés. Aussi on pourra modifier un trajet sans tuer les initiatives.

La CINAM 

Nous avions rencontré Bernard Lecomte pour la première fois en 1973 en Afghanistan, dans un projet UNICEF confié à la CINAM et dirigé par Tomeu et Tonia AMAT, autres personnes importantes dans notre vie, devenus pour nous des guides et amis pour la vie. Michelle et Robin Poulton vivaient dans un village tajik dans les montagnes du Province de Balkh, dans le village où Alexandre de Macedoine avait passé sa lune de miel avec la belle Roxane; Tonia et Tomeu Amat vivaient dans un village ouzbek sur les Steppes de l’Asie Centrale, dans une communauté qui avait fui la collectivisation stalinienne de l’Union Soviétique. Nous avions élaboré les stratégies innovatives d ‘intervention rurale qu’UNICEF et divers ONGs comme Child Fund International (dirigé alors par Michelle) ont pu mettre en oeuvre après la chute des Taliban et 2001.

Grâce aux Amat, grâce à la CINAM, nous étions partis étudier sous Henri Desroche au Collège Coopératif de Paris, un centre innovatif des Sciences Sociales du Développement – une matière qui allait devenir (beaucoup plus tard) dans les pays anglophones Development Anthropology.  Nous avions découvert à Paris une conception et une pratique des sciences sociales du développement dans un esprit humaniste, une approche mise en route par une lignée de grands hommes : je nommerai Joseph Lebret, Henri Desroche, François Perroux, Dominique Gentil et Bernard Lecomte.

Lecomte est venu à Kabul et son influence est tout de suite tombée sur nous : son intelligence, son charme, sa générosité, son engagement pour les autres et son style d’accompagnement du travail à la base.

ECONOMIE – HUMANISME – et  FEMINISME

Sans oublier ses partenaires en Afrique tels que Bernard Ledéa Oudraogo et Mamadou Cissokho, et les courants féminins de Aminata Dramane Traore, Roukiatou TALL et autres Christina Ama Aidoo, Zainab Bangura, Laymah Gbowee, Catherine Touré, Adrian Adams-Sow, Mary Allen-Ballo, Fatima Meité ou Theodora Williams Anti.  Michelle Elcoat Poulton deviendra un membre important de cette compagnie, investissant dans la recherche-action d’un développement féministe africain à la base au Mali et en Sénégambie plus tard dans toute la région grâce à son leadership en Afrique des Save The Children et ChildFund International (Christian Children’s Fund).

« We must remember and support the farmers of West Africa, and their husbands. » Cette boutade ne se traduit pas bien en français. Il ne faut oublier l’importance dans l’économie sociale ouest-africaine des femmes, productrices d’une bonne partie des ressources agro-alimentaires.

Arrivés au Sahel en 1980 pour renforcer les coopératives, c’est avec les deux Bernard (Lecomte et Ouedraogo) et avec le réseau des étudiants africains de Desroche que nous – les Poulton – avions découvert le travail en formation paysanne du CESAO à Bobo Dioulasso, les réussites des groupements Naam créés au Burkina Faso en 1967 dirigés par Bernard Lédéa, inspirés par Bernard Lecomte. Le groupement Naam – association locale (nationale) – donnera naissance en 1977 à l’association “6S” internationale avec ses réseaux aux Guinée Bissau, Gambie, Sénégal, Mauritanie, Togo, Mali, Niger et Burkina Faso. On lit dans les textes fondateurs:  L’ONG “6S” est née de l’association des groupements Naam nationaux afin d’unir nos forces pour le bien-être du monde rural. “6S” veut dire “Se Servir de la Saison Sèche en Savane et au Sahel” (6S) appuie toute activité de développement en savane et au Sahel.

Forts de tous ces contacts – ainsi qu’avec avec les pères blancs qui faisaient un travail importa grâce à leur longevité sur le terrain et leur proximité avec le paysannat – et fort de notre éducation chrétienne, il est indéniable que les Poulton étaient influencés par ce même humanisme chrétien qui va impregner nos efforts sur le terrain pendant 40 ans.

Henri Desroche, ancien Dominicain et grand penseur (qui était notre directeur de thèse) s’était entouré au Collège Coopératif non seulement de grands intellectuels, mais aussi des membres de sa famille (son épouse, son fils …). Grand penseur, grand intellectuel, grand humaniste, Desroche était tout sauf un bon gestionnaire !

Sur le terrain, les grandes idées ne suffisent pas. Il faut savoir organiser et juger les actions et en mesurer les impacts. Mais sans imposer les obsessions statistiques des académiciens blancs et des comptables institutionnalisés. Bernard Lecomte avait su trouver la fusion des idées avec la pratique.

Ce que Bernard nous avait appris surtout, c’était l’accompagnement des autres. Maintes fois pendant notre carrière africaine, des diplomates Blancs nous avaient demandé pourquoi nous n’avions pas – Michelle et moi – créé notre propre ONG ?  La réponse était simple : notre travail consistait à appuyer ceux qui avait leurs organisations de développement – accompagner les associations africaines surtout – pour les aider à améliorer leur impact sur le terrain. On ne travaillait pas pour NOUS, mais pour les paysans et les pauvres et les enfants de l’Afrique profonde.

SENEGAL

Bernard Lecomte a passé sa vie à aider les organisations paysannes à s’amplifier, à multiplier leurs impacts sur la vie des populations, au Sénégal surtout. Mamadou Cissokho a bien exprimé dans son témoignage, son amitié et la réussite de Bernard  comme un partenariat autour d’une « Autopromotion de Développement à partir de ce que les gens savent – peuvent – ont et veulent. »

Mamadou Cissokho raconte comment il avait trouvé derrière l’église des dominicains près de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, une feuille dans cette poubelle avec des écritures à gros caractères « ECONOMIE ET HUMANISME » avec l’adresse complète du Centre Lebret de Paris. Encore jeune homme et nouveau dans le leadership paysan, Cissokho avait écrit et Bernard Lecomte est venu dans la zone de Bamba Thialène où Cissokho était animateur.

Cissokho de poursuivre : «  Je voudrais seulement indiquer qu’à travers « 6S » Lecomte a aidé la structuration du mouvement paysan qui était à ses tous débuts, en nous aidant à mettre en place un cadre de facilitation de la gestion des connaissances. …. Bernard Lecomte a été celui qui a aidé,  à travers ses fiches sur les séminaires, la planification pour plus de démocratie et de transparence dans les organisations paysannes, mais également facilité le contrôle des membres sur leur gouvernance. »

Croyant praticien, catholique et issu d’une famille qui a donné plusieurs serviteurs de Dieu, Bernard Lecomte s’était engagé pour le mouvement paysan. Il ne cherchait ni gloire, ni richesses, mais une réussite humaine et collective. Ce qu’il avait réussi !

Mamadou Cissokho raconte aussi :  «  En plus de cela il a rencontré au Sénégal, le sens de sa vie, sa compagne, son épouse, son amour, je parle de Renée Dupont, une paysanne devenue juriste et qui a tout partagé avec Bernard. Catholique croyante et praticienne, elle a été la moitié de Bernard et la totalité de la famille LECOMTE et DUPONT. Son calme, son intelligence et sa rigueur ont aidé Bernard à surmonter tout sur leur chemin et vivre une vie remplie de générosité, de partage et d’assistance désintéressé aux nécessiteux. Partout où ils ont passé Bernard et son épouse ont semé la joie par leur mode de vie humble, dans le respect des gens qu’ils rencontrent et leurs valeurs.  »

DEFENSEUR DU LE MONDE PAYSAN

Nous lisons sur le site Agropasteur.com :

Dans sa maison de Bonneville, du beau monde africain de passage surtout à Génève, trouvaient gîtes et couverts. Le burkinabè Bernard Ledea OUEDRAOGO (fondateur de la Fédération Nationale des Groupements Naam), la burkinabè Joséphine OUEDRAOGO (ministre burkinabè sous la Révolution et sous la Transition de 2014-2015), le burkinabè Damiba Youlouka (communicant, cinéaste et militant altermondialiste), le burkinabè Omar De Mikinam Ouedraogo (communicant agricole burkinabè et consultant en communication pour le développement et en politiques publiques), le sénégalais Mamadou CISSOKHO (président d’honneur du ROPPA), le sénégalais Cheik Hamidou KANE (écrivain et ancien ministre sénégalais) : tous se faisaient du plaisir à répondre présents, au rendez-vous du « donner » et du « recevoir » auprès d’un proche de Michel ROCARD. Oui !

Proche de l’ancien Premier ministre français Michel ROCARD, Bernard s’est toujours éloigné du monde intriguant de la politique politicienne pour mieux s’employer et se déployer dans le monde plaisant de la politique du développement. Le combat de Bernard n’a pas seulement profité aux exploitations familiales africaines. Ce combat était aussi en faveur des éleveurs montagnards de la Savoie, jugés parents pauvres de la Politique Agricole Commune de l’Union Européenne. Bernard ! Tu as vécu utile également pour la paysannerie européenne.

LUTTER CONTRE DES ORGANISATIONS DONATEURS

Citons le texte de l’IRAM, grande organisation de développement théorique autant que pratique, bien que parisienne:

Bernard Lecomte s’insurge sur le modèle de « l’aide par projet » dans une publication de l’OCDE en 1984 et, avec Marie-Christine Guéneau:

« Ce livre est le fruit de “coups de colère “. Colères face à l’observation répétée des mêmes défauts, au sein des projets des ONG du Nord et du Sud et des coopérations publiques. L’aide ne joue-t-elle pas contre les dynamiques paysannes ? Dans quelle mesure ne freine-t-elle pas leurs initiatives ? A trop vouloir aider, ou aller trop vite ou trop prévoir, ne risque-t-on pas de les empêcher de progresser selon leurs idées et avec leurs propres ressources ? A chaque chapitre sont traités une analyse des pratiques du système d’aide, un diagnostic et des propositions de changement des méthodes et des comportements. » [Sahel : les Paysans dans les Marigots de l’aide, l’Harmattan, 1998].

Moi-même j’ai souvent expliqué l’inutilité des projets de moins de cinq ans. Je décrivais pour un ambassadeur des l’Union Européenne comment ses financements annuels des ONG au Mali servait à les affaiblir, à transformer les énergies du ‘développement’ en quémandeurs, imposant aux associations des cycles d’inféodisation au bailleur des fonds. Il m’écoutait ; mais il ne m’entendait pas. J’avais l’impression que le plaisir du Blanc résidait justement dans son pouvoir de disposer de l’argent à son gré : la finalité des actions (leur impact) ne l’intéressait pas.

Conclusion : Le CEEAS jette dans le sable du désert (donc il gaspille) l’argent du contribuable européen destiné à améliorer les vie en Afrique.

ADIEU A NOTRE AMI BERNARD LECOMTE

Une belle vie est composée d’un début, d’un milieu productif et d’une fin tranquille. Bernard Lecomte s‘est éteint à Bonneville le 07 août 2022, à l’âge de 93 ans, entouré des siens et avec une musique de Schubert qui l’accompagnait sur le départ à la vie d’après dont sa foi l’avait convaincu. C’est beau.

Chère Renée, la passion de Bernard était partagée complètement par le beau couple que vous avez formé depuis votre premier rencontre au Sénégal. La suite de votre œuvre commun est assurée par la continuité de votre organisation pédagogique https://www.grad-s.net/

C’est magnifique d’avoir réussi tant de choses ensemble !

Comme la vie de Bernard était belle !

Comme il avait su donner de la générosité ….  son épouse aussi !

Il nous manque déjà ; mais les fruits de son oeuvre continuent dans l’essor de l’économie sociale et humaniste en Afrique et en Europe.

___________________________________________

Robin Edward Poulton, Ph.D. est membre du réseau TRANSCEND pour la paix développement environnement, auteur de nombreuses œuvres sur la paix et le désarmement en Afrique, mais aussi au Cambiodge et en Afghanistan. Conseiller de nombreuses fois du PNUD et de l’UE, ancien professeur à la Virginia Commonwealth University aus USA et de l’Université Coopérative Internationale en Afrique de l’Ouest, il avait créé EPES Mandala Consulting pour promouvoir la paix. Ses livres le plus récents sont Paroles sur les Crises au Mali et les Limites de la Démocratie : Expériences et Analyses pour favoriser la Paix (sous la direction de Robin Pouton, Amazon 2021); ) ; Peace is Possible: Exchanging Weapons for Development and how we disarmed the Khmer Rouge with wit, bluff and balloons (Amazon 2020); Sister Cities: A story of friendship from Virginia to Mali (by Ana Edwards & Robin Poulton, Brandylane 2019); The Limits of Democracy and the Postcolonial Nation State: Mali’s democratic experiment falters, while jihad and terrorism grow in the Sahara (by Robin Poulton and Raffaella Greco Tonegutti, Mellen 2016). poultonrobin@gmail.com

This article originally appeared on Transcend Media Service (TMS) on 26 Sep 2022.

Anticopyright: Editorials and articles originated on TMS may be freely reprinted, disseminated, translated and used as background material, provided an acknowledgement and link to the source, TMS: (Français) Bernard Lecomte (1 Sep 1930 – 7 Août 2022): Un grand homme humaniste de l’économie sociale en Afrique, is included. Thank you.

If you enjoyed this article, please donate to TMS to join the growing list of TMS Supporters.

Share this article: email mastodon facebook 🔗 copy link

This work is licensed under a CC BY-NC 4.0 License.

Comments are closed.