La carte blanche d’Aurélie Leroy dans Le Soir.
La pollution est devenue un fléau récurrent pour les près de 34 millions d’habitant·es de la capitale indienne, deuxième ville la plus polluée du monde dans un pays qui abrite 83 des 100 villes les plus polluées de la planète. Chaque année, ce tueur invisible est responsable d’environ 12.000 décès, soit 12 % de la mortalité totale de la mégapole. Cette situation est aggravée par l’apathie des pouvoirs publics qui privilégient des solutions superficielles, réactives et temporaires. L’absence de politiques qui s’attaquent aux racines du problème telles que les émissions industrielles, la dépendance au charbon, les pratiques agricoles délétères ou encore la pollution liée au transport, rend chimérique toute amélioration durable. Résultat des courses, les citoyen·nes des grandes zones urbaines se retrouvent abandonnés à leur sort.
La crise actuelle qui sévit en Inde ne se décline pas de la même façon pour tout le monde. Elle est un révélateur des inégalités qui façonnent la société indienne. Les plus riches, qui s’inquiètent de leur santé, restent confinés dans des maisons équipées d’un purificateur d’air. #StayHomeStaySafe. Tandis que les plus pauvres, sans protection ni répit, s’inquiètent avant tout des moyens matériels qui permettront leur survie, et n’ont d’autre choix que de s’exposer à un épais brouillard dangereusement toxique. Une scène qui reflète, tel un sombre miroir, un épisode pandémique pas si lointain.
Une crise globale à l’heure de la COP29
A quelques milliers de kilomètres de là, à Bakou en Azerbaïdjan, la crise de la pollution de l’air en Inde s’est invitée au cœur des discussions climatiques de la COP29. Le smog qui étouffe Delhi ne peut être réduit à une simple crise locale que de simples mesures ponctuelles et locales permettraient de résoudre. Il est le symptôme d’une crise environnementale et sanitaire de grande ampleur, bien plus profonde, qui réclame une action mondiale urgente pour affronter simultanément pollution de l’air et changement climatique.
Dans cette perspective, de nombreux acteurs appellent à une refonte des priorités. La logique du profit et des intérêts des entreprises, qui prévaut souvent aux dépens de la vie et du bien-être humain, doit être renversée. Placer la santé et la justice sociale au cœur des politiques climatiques est crucial pour éviter des catastrophes sanitaires et écologiques à répétition.
En Inde, les pics de pollution hivernaux et les vagues de chaleur estivales de plus en plus fréquentes ont des conséquences dramatiques sur la santé publique, l’environnement et l’économie. Ces épisodes de pollution extrême et autres dérèglements climatiques soulignent l’urgence de réorienter les politiques énergétiques vers des solutions durables et justes.
Les défis de la transition énergétique indienne
La transition énergétique en Inde se heurte toutefois à des défis complexes, comme le met en évidence la crise actuelle. Bien que le pays progresse vers les énergies renouvelables et la neutralité carbone, sa dépendance massive au charbon, perçue comme un pilier de sa souveraineté énergétique, rend ce virage difficile. Ce paradoxe accroît plus encore les inégalités : les populations précarisées souffrent de manière disproportionnée des effets de la pollution atmosphérique et du changement climatique, tout en restant largement exclues des bénéfices des processus de transition énergétique, comme l’accès aux technologies vertes, aux emplois et, plus largement, aux retombées économiques qu’elle peut générer.
Pour être juste, la transition énergétique ne doit pas se limiter à la réduction des émissions de carbone ; elle doit aussi veiller à répondre aux impératifs de justice sociale, en réduisant les inégalités exacerbées par la crise climatique. Cela nécessite des politiques structurelles, telles que des investissements dans des infrastructures durables accessibles à toutes et à tous, ainsi que des mesures visant à garantir l’accès des communautés défavorisées aux solutions énergétiques propres. À défaut, l’inaction risque de perpétuer la fracture entre des privilégié·es qui respirent un air filtré derrière des murs protégés et les plus vulnérables qui suffoquent à ciel ouvert.
Le rôle des industries polluantes et des centrales à charbon, ainsi que les politiques publiques sont également centraux dans l’équation. Les lobbys des grands conglomérats proches du pouvoir et le capitalisme de connivence influencent fréquemment les politiques énergétiques, en privilégiant leurs intérêts économiques à court terme au détriment de la justice sociale et environnementale.
A l’heure de la COP29, la crise de la pollution à Delhi appelle enfin à une plus grande coopération internationale. Justices sociale et climatique doivent se conjuguer pour réduire les inégalités entre populations aisées et marginalisées à l’intérieur des pays, mais aussi entre les pays du Sud et du Nord. Les pays industrialisés doivent assumer leur responsabilité historique dans les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement en cours, et adopter des actions tangibles pour réduire leur impact, tout en soutenant les pays les plus affectés.
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Aurélie Leroy : Historienne, chargée d’étude au CETRI.