(Français) Socialisme tropical depuis 60 ans. Bilan de la Révolution cubaine
ORIGINAL LANGUAGES, 14 Jan 2019
Marc Vandepitte | Journal Notre Amérique – TRANSCEND Media Service
Le 1er janvier 2019, cela a fait exactement 60 ans que le peuple cubain, dirigé par les frères Castro et Che Guevara, renversèrent le dictateur Batista. Ce fut le début d’une histoire tumultueuse et légendaire. Un bilan présenté par Marc Vandepitte, expert en matière de Cuba.
Souveraineté
7 Jan 2019 – Il y a soixante ans, les Cubains sont entrés dans l’histoire, en battant, avec quelques centaines de rebelles, l’armée la plus entraînée du continent. Ils ont chassé les yankees de leur île et ont réussi à construire, sous le nez des Etats-Unis, une société socialiste. Contre vents et marées, ils ont résisté à l’agression militaire, économique et diplomatique de la plus grande superpuissance jamais vue. La révolution cubaine a liquidé la théorie pessimiste qu’une voie progressiste était impossible dans l’arrière-cour d’Uncle Sam.
Anti-impérialisme
En 1961, dans la Baie des Cochons, ils ont fait subir une défaite humiliante à l’impérialisme étasunien. Jamais la Maison Blanche n’a été autant humiliée par un pays latino-américain. Un quart de siècle plus tard, les soldats cubains, appelés à l’aide par l’Angola, à des milliers de kilomètres de leur pays, ont donné le coup de grâce à l’armée de l’apartheid qui était pourtant beaucoup mieux équipée. Ainsi, une petite île insignifiante a déterminé en partie la liberté de Mandela et l’histoire de l’Afrique.
Avec le Venezuela, Cuba a été le pionnier de l’intégration des pays latino-américains (ALBA, CELAC, UNASUR), au détriment de l’emprise de Washington sur cette région. (1)
Économie
Les Cubains ont résisté au blocus économique le plus long de l’histoire mondiale. En trente ans, ils ont, à deux reprises, perdu leurs principaux partenaires commerciaux. Pour la plupart des économies, cela aurait représenté un coup fatal, mais, là aussi, ils ont survécu, sans explosions sociales. Comme tout pays du Tiers Monde, Cuba est confrontée à de sérieux problèmes économiques. Or, comme le démontre le graphique, les résultats ne sont guère mauvais par rapport aux pays de la région. Sans le blocus, et sans la chute de l’Union Soviétique, Cuba aurait, à ce jour, un pnb par habitant au niveau de l’Italie.
Réalisations sociales
Suite à son passé colonial, au blocus économique, au manque d’importantes ressources naturelles et à la chute de l’Union Soviétique, le pays est resté, au niveau économique, un pays du Tiers Monde. Cependant, il a su atteindre un niveau social, intellectuel et culturel classé parmi les meilleurs du monde. Cuba a réussi, par essais et erreurs, à édifier un autre projet sociétal, où l’épanouissement de la population est le point central et non le profit. Si tous les pays latino-américains offraient les mêmes soins de santé et encadrement social à leurs populations, 130 000 d’enfants mouraient en moins chaque année. Selon l’UNESCO, le niveau d’enseignement à Cuba dépasse de loin le reste de l’Amérique-Latine. Egalement au niveau du genre, de la diversité et des droits LGBT, Cuba joue un rôle majeur dans le continent.
Internationalisme
Cuba ne s’occupe pas uniquement de ses propres habitants. “La solidarité est la tendresse des peuples”, disait Che Guevara. Les Cubains mettent cela en évidence de façon impressionnante. Actuellement, presque 50 000 professionnels de santé cubains, dont la moitié sont des médecins, opèrent dans plus de 60 pays et, depuis 1998, 20 000 médecins de 123 pays ont été formés gratuitement. A elle seule, Cuba envoie plus de médecins que ne le fait l’Organisation Mondiale de la Santé. Si les Etats-Unis et l’Europe faisaient le même effort que Cuba, 2 millions de médecins seraient envoyés dans le monde, et ils en auraient formés plus d’un million ces derniers 15 ans. Le manque de travailleurs de la santé dans le Sud serait tout de suite réglé.
Révolution au coeur vert
En 1992, au sommet de la Terre à Rio, Fidel Castro fut le premier chef d’Etat à mettre en garde contre l’extermination du genre humain. Il préconisait un revirement radical au niveau écologique. Ce revirement a aussi été réalisé sur l’île. Aujourd’hui, Cuba est le seul pays du monde où un ‘développement social très élevé’ (HDI) est combiné avec une faible empreinte écologique.
Processus décisionnel
Notre économie et notre régime politique sont dominés par des multinationales et de grands groupes de capitaux. A Cuba, ce pouvoir a été brisé et remplacé par la CTC, la confédération des différentes centrales syndicales. Nul doute que le processus décisionnel à Cuba est fort uniformisé. Cependant, cela est compensé par une forme de démocratie directe. Outre les élections parlementaires de tous les cinq ans, il existe un système de consultation assez unique. Pour toutes les décisions importantes, la population est largement consultée et un consensus est visé. A Cuba, aucune mesure n’est prise s’il n’existe pas de forte adhésion. Cela explique, entre autres, pourquoi le gouvernement cubain peut, malgré les conditions parfois très difficiles, compter sur un grand soutien de la population.
Avec un tel système, une taxe des millionnaires serait installée en Belgique depuis longtemps, il n’y aurait pas eu un saut d’index, et l’âge de la pension n’aurait pas été porté à 67 ans.
Médias
Dans les pays capitalistes, le débat public est surtout mené dans les médias, ou, pour être plus exact, par les médias. Les mass media fixent le cadre du débat politique. Ces médias sont pour la plupart dans les mains de grands groupes de capital ayant, en premier lieu, des motifs commerciaux. A Cuba, l’influence médiatique a été brisée, et les médias de masse se trouvent dans les mains d’organisations sociales ou des autorités. Ce qui n’empêche pas, par exemple, l’église catholique d’éditer plusieurs magazines et publications ainsi que d’avoir ses propres sites web où l’on trouve des opinions fort différentes des positions officielles.
On peut néanmoins se demander si Cuba ne devrait pas organiser davantage de débats contradictoires à la télévision et dans les journaux. Cependant, il faut savoir que le débat sociétal n’a pas lieu dans les médias, mais dans les quartiers, les lieux de travail, les syndicats, les associations de femmes et de jeunes. Quoi qu’il en soit, à Cuba, la manipulation médiatique occidentale a peu ou pas d’emprise sur la population, ce qui fait, par exemple, que les femmes cubaines n’ont pas de complexes physiques.
Prestige international
Par les réalisations sociales dans son propre pays et le rôle joué par Cuba à l’étranger, la direction cubaine jouit particulièrement d’un grand prestige dans les pays du Sud. A deux reprises, de 1979 à 1983 et de 2006 à 2009, la petite Cuba a pu présider les Pays Non Alignés, un mouvement regroupant deux tiers de tous les pays. En 2014, Raoul Castro présidait le deuxième sommet de la CELAC. Pour cette réunion, 30 des 33 chefs d’Etat de l’Amérique-Latine et des Caraïbes se sont rendus à La Havane.
Erreurs
Il est évident que, au cours de ces 60 dernières années, des erreurs ont été commises : le traitement humiliant de croyants et d’homosexuels au début de la révolution, la déroute économique des années 1970, l’échec à diversifier l’économie, le relais tardif de l’ancienne garde à une génération plus jeune, etc. Les Cubains eux-mêmes sont les derniers à présumer que leur parcours a été sans problèmes.
Dans cet article, l’espace manque pour aborder les arguments clichés répétés contre Cuba : dictature, violation de droits de l’homme, assassinats massifs, chaos économique… Vous pouvez en lire plus dans cette interview d’il y a deux ans.
Les défis
Il reste pas mal de points faibles et problèmes à traiter. Le plus grand défi est sans doute celui-ci : le haut développement social et intellectuel crée de grandes attentes auprès de la population. Mais la base économique manque, ce qui provoque des frustrations. Cet élément est encore renforcé par le tourisme. Il apparaît qu’un touriste peut tout se permettre, alors qu’il n’est pas nécessairement plus qualifié. Ceci s’articule à un autre phénomène. Suite à l’effondrement de la monnaie, après 1991, le salaire ne représente plus grand-chose. Dès lors, il n’y a plus de véritable lien entre le travail, le salaire et le pouvoir d’achat. Ceci est très négatif pour la motivation de travail et la productivité et génère beaucoup de corruption et de mécontentement.
Une croissance économique accélérée est la seule réponse à ces défis, mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Là aussi, le contexte étranger joue un rôle fort déterminant. Trump va-t-il se déchaîner ou se limiter à des tweets ? Comment va évaluer la situation au Venezuela et en Amérique Latine ? Comment vont évoluer les relations économiques avec la Chine, la Russie et l’Europe ? Sera également décisif.le fait que le nouveau grand port près de La Havane sera ou pas une réussite. Quel sera l’impact des sécheresses et ouragans dévastateurs qui se manifestent à une fréquence plus élevée ?
Par ailleurs, il y a aussi des évolutions positives. Les relations avec la Russie, la Chine et l’Union européenne n’ont jamais été aussi bonnes.
La solidarité
L’avenir dira si Cuba parviendra à relever ces défis. Dans ces temps de droitisation et de durcissement des moeurs, plus que jamais est nécessaire la solidarité avec un pays qui montre, depuis 60 ans déjà, ce que représente la fraternité des peuples et où l’homme et non le profit est mis au centre de la vie. Hasta siempre !
NOTES:
(1) ALBA est l’alternatif bolivarien pour l’Amérique-Latine. Ce cadre de coopération, créé en 2004, doit constituer une contrepartie à l’ALCA, l’accord de libre échange que les Etats-Unis voulaient imposer à l’Amérique Latine. Cuba et le Venezuela étaient les premiers membres, suivis par la Bolivie, le Nicaragua, la République dominicaine, l’Equateur et quelques autres pays.
En décembre 2011 a été créée, à l’initiative de Hugo Chavez, la Communauté des Etats Latino-américains et caribéens (CELAC). Pour la première fois de l’histoire, un organe régional de toute la région latino-américaine (y compris les Caraïbes) s’est constitué, sans les Etats-Unis et le Canada.
En 2007 est créée, à l’instar de l’Union européenne, Unasur: l’Union de nations sud-américaines. Elle comprend, outre un parlement, une banque, la Banco del Sur, qui doit être un alternatif au FMI.
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Traduction du néerlandais : E. Carpentier
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