(Français) La complexité mystique et autres mythes de la création d’Israël
ORIGINAL LANGUAGES, 17 Jun 2019
Thomas Suarez | Investig’Action – TRANSCEND Media Service
12 Juin 2019 – Israël, Palestine. Juifs, Arabes. Gaza, Jérusalem. Des affrontements qui remontent à la nuit des temps, insolubles, entend-on! Mais dans « Comment le terrorisme a créé Israël », Thomas Suarez examine les débuts de la question israélo-palestinienne: les centaines d’attentats à la bombe et de massacres de civils perpétrés par les mouvements sionistes juifs jusqu’en 1948 pour chasser les Palestiniens, mais aussi frapper l’administration britannique et les juifs « non-coopérants ». S’agit-il de terrorisme? Les sionistes ne faisaient-ils que se défendre? Thomas Suarez élague la question dans l’introduction de son livre que nous vous invitons à découvrir.
Le « conflit » en cours entre Israël et les Palestiniens est décrit de façon typique comme la collision complexe, irréconciliable en effet, entre des ennemis historiques. Telle est la prémisse du présent ouvrage qui s’appuie sur la preuve incontournable que toute cette histoire tragique – par le biais des gros titres d’aujourd’hui – est en fait la seule histoire du mouvement politique appelé sionisme et de sa détermination à vouloir exproprier toute la Palestine en vue de la création d’une nation de colons « juifs » s’appuyant sur la descendance par le sang – la « race ». Le livre prouve aussi que sa complexité mystique supposée est elle-même, dans cette campagne, une arme destinée à embrouiller la véritable cause de la débâcle, à expliquer faussement l’incapacité qu’il y a à y mettre un terme, à détourner le judaïsme et les persécutions juives historiques à son profit et à présenter un discours mythique comme un fait au public occidental que leurs gouvernements autorisent.
Telle est l’essence que les Palestiniens ont supposé depuis le début de la colonisation sioniste et que des témoins juifs tels Alfred Lilienthal et Moshe Menuhin ont rapporté depuis les années 1950. L’érudition qui se développa dans les années 1970 ajouta une ossature historique à ce qui aurait dû aller de soi depuis longtemps à partir du comportement israélien et, dans les deux décennies qui suivirent, les « nouveaux historiens » d’Israël passèrent au peigne fin les archives sionistes qui corroboraient en substance ce que les Palestiniens n’avaient cessé de prétendre. Pourtant, à quelques exceptions notables près, comme Ilan Pappé, la plupart se cramponnèrent à la conviction profonde de l’habilitation ethnique qui supplanta toute reconnaissance de l’injustice persistante. Dans un même temps, Israël se mit à replacer sous scellés des documents contredisant son discours et empêcha la déclassification d’autres documents censés être libérés4.
La persécution constituait la motivation supposée des premiers architectes du sionisme politique et un État juif était sa solution. Toutefois, peu importent les intentions de l’un ou l’autre individu à l’époque, l’État d’implantation lui-même devint le but et les Juifs persécutés en furent le carburant renouvelable. De même que le projet d’implantation gagnait de la vitesse, sa dépendance vis-à-vis de ce carburant s’intensifia elle aussi en même temps que le besoin de s’assurer que ses sources ne se tariraient jamais. L’histoire palestinienne de la tolérance religieuse fut lentement gommée de la mémoire commune du fait que l’opposition palestinienne à la domination ethnique fut cataloguée comme antisémite. La Première Guerre mondiale remplaça la domination coloniale ottomane par celle de la Grande-Bretagne, laissant aux Palestiniens le sentiment d’avoir été trahis : la Grande-Bretagne leur avait promis l’indépendance en échange de leur participation à la lutte contre les Ottomans.
La population juive de la Palestine, estimée à 1,7 % au début du XVIe siècle, augmenta au cours du XIXe siècle du fait que plusieurs nations se bousculèrent pour leurs intérêts politiques, religieux, touristiques, économiques et stratégiques dans la région. Ils y vinrent en tant que pèlerins, voyageurs, écrivains ou immigrants pleins d’espoir, de la même manière que toute personne pourrait se rendre dans un autre pays. Toutefois, dès le début des années 1880, la Palestine découvrit des nouveaux venus inédits et bien distincts des autres : des Juifs européens qui étaient en grande partie laïques et qui défendaient le nouveau mouvement ethnonationaliste du sionisme. Les sionistes ne vinrent pas comme immigrants, mais comme usurpateurs et ils affichaient un énorme mépris à l’égard des Juifs nés en Palestine – et ce sentiment était réciproque. Au tournant du XXe siècle, la population juive de Palestine, tant sioniste que non sioniste, était passée à quelque 6 %5.
Même avant que des éclaireurs sionistes aient envoyé un câble à Vienne, en 1898, avec la confirmation décevante que la Palestine n’était pas une terre vide, mais qu’elle était « déjà mariée » aux Palestiniens, des militants reconnurent que leur but politique ne pourrait se réaliser que par la violence contre la population civile – ce que l’on considère communément comme du « terrorisme ».* Il est sans importance de savoir si cela a été accompli en tuant ou en chassant les gens de cette terre, en les expropriant de tous leurs moyens de subsistance et, partant, en les affamant, en s’appropriant leurs aquifères par le biais de lois imaginées à cet effet, ou simplement en rendant leur existence si misérable qu’ils s’en allaient « de leur propre gré » 6.
On en a fait beaucoup autour de la signification de ce mot: terrorisme. Un discours habituel prétend que la violence sioniste n’était pas du terrorisme, parce qu’elle visait l’establishment dirigeant britannique, et non des civils. Dans la Palestine d’avant 1948, cette affirmation allait requérir une définition extrêmement étroite du terme « civil » et, au tournant de 1948, elle nécessitait de déclarer que la totalité de la population autochtone non juive n’était pas constituée de civils. Les Juifs constituaient eux aussi une cible spécifique : tant avant qu’après 1948, des centaines de milliers de personnes en Europe, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient devinrent des cibles légitimes de la violence sioniste parce qu’elles étaient juives, puisque le sionisme ne dépendait pas uniquement du transfert des Palestiniens non juifs hors de Palestine, mais aussi du transfert des Juifs vers la Palestine. Les tactiques antijuives comprenaient la manipulation des camps de Personnes Déplacées (PD), le rejet d’opportunités d’asile en toute sécurité dans d’autres pays, l’enlèvement d’orphelins juifs et la destruction de communautés juives en Afrique du Nord et au Moyen-Orient par le biais de la propagande et du terrorisme « arabe » sous fausse bannière – tout cela pour acheminer en Palestine des gens « ethniquement corrects », au service de l’État d’implantation.
Est-ce cela du « terrorisme » ? Dans le discours politique, le mot est brandi à tout moment comme si ses quatre syllabes elles-mêmes avaient le pouvoir de condamner ou de justifier. Mais il s’agit d’une diversion : quelle que soit l’étiquette qu’on lui adjoint, le sionisme politique a requis inévitablement le recours à une violence massive contre des non-combattants, des Palestiniens, des Juifs et des Britanniques. Le fait que le but du sionisme requérait également de cibler l’establishment colonial britannique qui l’avait nourri n’a aucune importance7.
L’ONU a été incapable de se mettre d’accord sur une définition du terrorisme, avant tout en raison de la controverse autour du fait de savoir si elle devait exclure la lutte armée pour la libération et l’autodétermination. Cette exception n’aurait aucun effet sur notre sujet, puisque la violence sioniste cherchait spécifiquement à empêcher l’autodétermination et à imposer le pouvoir d’une minorité s’appuyant sur l’ethnicité – « en violation du très élémentaire principe de démocratie », pour reprendre les termes de Mayer Sulzberger, l’un des fondateurs de l’Association hébraïque des jeunes hommes. Les dirigeants sionistes de la totalité du spectre, depuis le « modéré » Chaim Weizmann jusqu’aux terroristes poursuivis comme Menahem Begin et Yitzhak Shamir, ont uniformément dénoncé la moindre suggestion d’une démocratie palestinienne. Pour se justifier, ils ont diversement prétendu que les Arabes étaient des êtres inférieurs et qu’ils ne méritaient pas le droit de vote ; que tous les Juifs étaient, de par le sang, des « ressortissants » de la Palestine et que, par conséquent, les Juifs du monde entier constituaient son électorat ; que même un vote juif s’opposant au sionisme serait vide de sens, puisque les sionistes savent ce qu’il y a de meilleur pour les Juifs ; que les Juifs constituaient une majorité dans un vaste royaume biblique il y a deux ou trois mille ans, et qu’ils n’ont jamais renoncé à leur revendication ; et que la revendication sioniste au sujet de la Palestine n’était pas soumise à des normes applicables au reste du monde8.
Le contrôle des deux pouvoirs opposés du langage – sa capacité à communiquer la pensée humaine, mais de façon plus significative pour le sujet qui nous occupe, son pouvoir de dicter la pensée humaine de façon furtive – est un avantage de la qualité d’État et, partant, il est donc exercé par le sionisme depuis 1948 tout en étant toujours refusé aux Palestiniens. Les douze coups de minuit, du 14 au 15 mai 1948, provoquèrent une éclipse orwellienne du langage sous l’ombre renversée de laquelle l’État israélien échappe toujours aux examens en pleine lumière du jour. C’est à ce moment-là que le terrorisme sioniste s’est mué en « autodéfense » israélienne et que les Palestiniens, qui tentaient de vivre dans leurs propres habitations et sur leur propre terre sont devenus des « infiltrants », alors que les milliers d’Israéliens qui ont emménagé à la hâte dans leurs maisons volées étaient des « citoyens ». Aujourd’hui, les Israéliens armés, qui envahissent les terres palestiniennes, exproprient les maisons des non-Juifs et en chassent ou tuent les habitants, ne sont pas des terroristes et, en effet, ne sont même pas des infiltrants, mais des « colons », un terme particulièrement bénin aux yeux du public américain, puisque leurs manuels scolaires en font un usage nostalgique dans leur narration nationale – une association que des dirigeants comme Ben-Gourion ont exploitée avec grand plaisir. Ces « colons » israéliens sont des « civils » et, par conséquent, victimes de n’importe quelle forme de résistance, alors que si, d’aventure, elles devaient se défendre et protéger leurs maisons, les familles sur lesquelles ces mêmes colons pratiquent l’épuration ethnique, sont des activistes ou des terroristes9.
Les milices sionistes bénéficièrent d’un large soutien parmi les colonies juives, particulièrement parmi les jeunes, endoctrinés à leur cause, et les Britanniques furent impuissants à décourager leurs lucratives collectes de fonds chez eux, aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France. Bien qu’on se souvienne mieux de l’iconique Irgoun et du Lehi (le « gang Stern » ou « groupe Stern »), la Haganah de l’Agence juive différait peu et, au début 1948, sa force combattante d’élite, le Palmah, terrorisait la population non juive par des campagnes brutales d’épuration ethnique qui surpassèrent ce dont l’Irgoun ou le Lehi étaient capables.
Des Palestiniens commirent eux aussi des attentats terroristes et le fait que le présent ouvrage se concentre sur le terrorisme sioniste ne doit pas être interprété erronément : il n’entend pas excuser la violence palestinienne à l’égard des civils. Ce fut le terrorisme sioniste, toutefois, qui dicta en fin de compte le cours des événements durant la période du Mandat et c’est le terrorisme de l’État israélien qui continue à dicter la marche des événements de nos jours. À l’époque, le terrorisme palestinien était – et il l’est encore aujourd’hui – une réaction à la soumission ethnique et aux expropriations de terres, de ressources et de main-d’œuvre imposées par les sionistes. Une fois agressé, tout peuple résistera ; et, au sein de n’importe quel groupe, il y aura des gens qui voudront résister en recourant à des moyens extrêmes, particulièrement si on leur refuse quelque moyen de défense que ce soit. Un État agresseur ne peut qualifier la résistance à sa violence de menace contre laquelle il doit se défendre – sinon toute agression se justifierait d’elle-même. Voilà pourtant la nature même de ce qu’on appelle le « cycle de violence » ou le « conflit » en Israël-Palestine.
Le terrorisme palestinien durant le Mandat britannique fut principalement actif lors des révoltes de la fin des années 1920 et de la fin des années 1930, et il constitua la réponse directe à la compréhension que le sionisme cherchait à épurer les non-Juifs de la région. Dans un climat où même la littérature antisioniste était interdite, la résistance non violente palestinienne – la diplomatie, les requêtes, les grèves, les boycotts – se révéla inutile. La réponse britannique au terrorisme palestinien fut brutale et sans compromis : les suspects étaient pendus sommairement, des centaines de maisons de gens innocents furent détruites et on utilisa des Palestiniens comme boucliers humains. Ceci, une certaine aide de la part du public palestinien et, jusqu’à un certain point, les assurances limitées et très peu fiables du Livre blanc de 1939 (qui tentait de réglementer l’immigration sioniste et les expropriations de terres) mirent efficacement un terme au terrorisme palestinien et ce, un an avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale10.
Tout au long de la Seconde Guerre mondiale et des années d’après-guerre qui aboutirent à la partition de la Palestine, les responsables britanniques continuèrent à remarquer fréquemment la retenue palestinienne face aux agressions juives de plus en plus nombreuses. Pourtant, les Palestiniens comprenaient très bien, à l’instar des renseignements américains et britanniques, que même les sionistes « modérés » n’allaient pas arrêter tant que la totalité de la Palestine historique ne serait pas devenue un État fondé sur la suprématie ethnique. Très contrairement à leur façon de traiter les Palestiniens, les Britanniques évitèrent les mesures musclées contre le terrorisme sioniste par crainte de déclencher une révolte qu’ils ne pourraient pas contrôler, de même que par le regain de propagande que cela apporterait au mouvement sioniste, et ce, tout particulièrement aux États-Unis11.
Comme la victoire des Alliés sur Hitler semblait de plus en plus assurée, la violence sioniste s’intensifia et devint le principal défi vital en Palestine. Tant les groupes terroristes que les dirigeants sionistes « reconnus » exploitèrent l’extrême révulsion du monde envers les nazis afin de présenter leur combat en Palestine comme le nouveau front. Pamphlets, affiches et émissions de radio inondèrent le Yichouv (les colonies juives) d’un message disant qu’on ne pouvait distinguer les Britanniques des nazis et que leurs buts étaient les mêmes. Fin 1947, lorsque le départ britannique fut assuré, les milices terroristes revirent leurs cibles et les calomnies nazies pour se concentrer à nouveau sur le dernier obstacle qui les séparait encore de leur but de s’emparer de toute la Palestine historique : les Palestiniens eux-mêmes. Très marqués émotionnellement et vulnérables, les survivants juifs de la guerre en Europe furent endoctrinés dans des camps de personnes déplacées dirigés par les sionistes et on leur inculqua le message affirmant que la Palestine était leur seul espoir de survie, mais qu’elle était habitée par les héritiers de leurs bourreaux allemands qui venaient d’être vaincus. Cela les endurcit contre tout examen de conscience et, trois ans après la défaite de l’Axe, les endoctrinés se mirent à raser un village après l’autre en raison de l’ethnicité des habitants. La « communauté internationale » se comporta comme si la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies, recommandant la partition de la Palestine en un État « juif » (sioniste) et un État palestinien, allait s’appliquer d’elle-même et elle n’avait prévu aucune disposition visant à empêcher l’épuration ethnique dont tout responsable bien informé craignait qu’elle ne fût imminente. Quel que fût le contrôle limité qu’ils exercèrent en se retirant, les Britanniques se lavèrent les mains de la catastrophe qu’ils avaient provoquée.
La résolution 181 peut carrément être qualifiée d’arnaque. Aux États-Unis, l’administration Truman fit des pieds et des mains pour qu’elle passe, bien consciente que l’« acceptation » de la Partition par l’Agence juive était une démarche réaliste à l’intérieur des murs de l’ONU. Tant les renseignements britanniques que leurs homologues américains mirent en garde contre le fait qu’aucun dirigeant israélien, pas plus que le Yichouv dans son ensemble, n’avait l’intention de respecter la Partition. En effet, dans des documents remontant à plusieurs mois avant la fin du Mandat, tant les Britanniques que les Américains considèrent comme une certitude que le départ des Britanniques va engendrer un État juif non pas selon les termes de la Partition, mais en fonction de la quantité de terres situées au-delà de ses limites dont les milices sionistes s’empareraient de force. De plus, ils considèrent également comme allant de soi que même ceux qui resteraient ne constitueraient pas l’État palestinien promis par la résolution 181, mais seraient absorbés par la Jordanie (et par l’Égypte) en position d’attente, présumait-on également, de la prochaine aventure expansionniste d’Israël. Pour les sionistes, la Partition était un inconvénient nécessaire, le moyen vers la seule arme suffisamment puissante pour conquérir l’ensemble de la Palestine : la qualité d’État.
Par-dessus tout, les Palestiniens étaient douloureusement conscients que l’État sioniste proposé allait être essentiellement une tête de pont en vue des conquêtes et expulsions futures, et c’était pour cette raison, et pas seulement du fait de leur refus de perdre leur droit inaliénable à l’autodétermination, qu’ils n’allaient pas approuver la Partition. Au début de 1948, comme les dirigeants sionistes prétendaient qu’un Goliath d’armées arabes cherchait à détruire leur État qui n’avait pas encore vu le jour, leurs propres milices se répandirent en Palestine, rasant sans qu’on tente de les en empêcher nombre de villages non juifs. Ce n’est pas avant que les armées sionistes aient déjà conquis une grande partie du secteur palestinien de la Partition qu’une première armée arabe pénétra dans la région et, quand elle le fit finalement, le plus gros de la guerre – de défense – eut lieu sur le sol palestinien. Le territoire d’Israël même ne vit pas grand-chose de la guerre. Pourtant, Israël dit de ces armées qu’elles constituaient une menace existentielle contre laquelle une agression israélienne était pleinement justifiée.
Au moment où la ligne d’armistice établit un cessez-le-feu, Israël ne s’était pas seulement emparé – après un nettoyage ethnique – des 56,5 % de la Palestine que les Nations unies lui avaient alloués pour en faire un État, mais aussi d’une bonne moitié de la part des Palestiniens. Cette ligne n’était pas une Partition redessinée et ne conférait pas à Israël les terres supplémentaires qu’il avait confisquées, mais Israël se hâta d’installer des centaines de milliers de nouveaux immigrants sur le territoire dérobé aux Palestiniens plutôt qu’en Israël, et ce, afin de rendre le vol irréversible. Pendant ce temps, les dirigeants des gangs terroristes s’installaient aux postes clés du nouveau gouvernement israélien et le plus célèbre de ces terroristes, Menahem Begin, se rendit à New York et récolta ouvertement des fonds en vue de la conquête par la violence de ce qui restait de la Palestine. Par conséquent, en janvier 1949, l’éminente correspondante du New York Times, Anne O’Hare McCormick déclara que la solution de deux États était bel et bien morte, en raison de l’agression israélienne12.
Entassés dans ce qui restait de la Palestine, on retrouvait les gens victimes de l’épuration ethnique orchestrée par Israël, tant de son côté de la Partition que des terres qu’il avait occupées illégalement de l’autre côté de la ligne d’armistice. Quand les Palestiniens tentèrent de rentrer chez eux à la fin des hostilités, Israël les en empêcha et ignora carrément les exigences des Nations unies lui enjoignant de cesser d’agir de la sorte, quand bien même Israël cherchait – et y parvenait – à obtenir son affiliation au sein de l’institution mondiale. Désormais démunies de tout, nombre des victimes étaient abattues à vue quand elles tentaient de se faufiler chez elles ne serait-ce que pour cueillir leurs récoltes ou retrouver des biens qu’elles avaient cachés au moment où elles avaient fui l’invasion. Fin 1953, la violence des Israéliens contre ces agriculteurs et villageois tentant de rallier leurs foyers et les raids terroristes israéliens de l’autre côté de la ligne d’armistice, en Cisjordanie (occupée par la Jordanie) et dans la bande de Gaza (occupée par l’Égypte), provoquèrent en effet des représailles de la part de Palestiniens armés, bien qu’elles aient été minimes en comparaison avec l’agression israélienne qui les avait précipitées.
Au milieu des années 1950, deux événements auraient pu mettre un terme à l’agression israélienne. La violence israélienne contre ses voisins était devenue si grave que la Grande-Bretagne conçut des plans visant à neutraliser la totalité des forces aériennes israéliennes ainsi que les installations israéliennes de l’armée et des communications. Secundo, Israël fut surpris en train de cibler des citoyens britanniques et américains au cours d’une opération ratée sous « faux pavillon ». Mais, à la onzième heure, des mariages de convenance géopolitiques passèrent avant le reste ; au lieu d’attaquer Israël, la Grande-Bretagne unit ses forces à celles d’Israël et de la France pour attaquer l’Égypte, créant ainsi ce qu’on allait appeler la crise de Suez.
Cette crise, la première guerre d’Israël d’après 1948, fournit une occasion logique de mettre un terme à ce livre. Armé de son discours messianique, l’État d’Israël, qui avait alors huit ans, avait établi les modèles de son comportement national qui continuent à le diriger, quels que soient ses dirigeants du moment. Après Suez, la « communauté internationale » renonça à lui demander de mettre un terme à son occupation des terres palestiniennes. Une décennie plus tard, elle ne parvint pas à empêcher Israël de procéder à une épuration ethnique de 300 000 autres personnes, lors de la guerre des Six Jours, en 1967. La ligne d’armistice « provisoire » reçut le statut de « frontières de 1967 » et même celles-ci furent abrogées, du fait qu’Israël se mit à exproprier d’autres parties encore de la Palestine : la Cisjordanie (ainsi que les hauteurs du Golan, appartenant à la Syrie) qu’il occupe et a complètement annexée, hormis son nom* ; Jérusalem-Est, qu’il a ouvertement annexée en violation de plusieurs résolutions du Conseil de sécurité ; et Gaza, qu’il occupe par le biais d’un siège draconien.
En effet, c’est la bande de Gaza qui, au moment d’écrire ceci, est la plus décrite comme la responsable d’attaques terroristes, dont les plus visibles revêtent la forme de roquettes rudimentaires expédiées de l’autre côté de la ligne vers des villes israéliennes comme Sdérot (qui est en fait le village palestinien de Najd, confisqué et épuré ethniquement par Israël en 1948). Les médias occidentaux citent ces roquettes dans l’abstrait, comme si elles étaient la cause plutôt qu’une réaction, et dépeignent le siège mortel de Gaza par Israël non pas comme du terrorisme, mais comme les portes de la Caspienne empêchant le déferlement des hordes barbares. Le problème en soi reste ignoré : un million de réfugiés à Gaza attendent toujours que le monde empêche Israël de bloquer leur retour chez eux, dans le cadre de cet embargo cataclysmique qu’il leur a imposé et qui a transformé leur belle enclave côtière en un vaste camp d’internement, de ce massacre sans discrimination par les airs, avec les pêcheurs de Gaza tués parce qu’ils pêchent dans leurs propres eaux et les fermiers de Gaza que l’on bombarde parce qu’ils cultivent leurs propres terres. Pour reprendre les termes de la journaliste israélienne Amira Hass, Gaza représente « la bonne vieille expérimentation israélienne appelée ‘les mettre dans une casserole à pression et voir ce qui se passe’13 ».
Pour rendre compte des attaques sionistes dans le présent ouvrage, je me suis appuyé surtout sur des sources déclassifiées des Archives nationales de Grande-Bretagne (Kew). Leurs nombreux auteurs étaient à la fois des bureaucrates et des observateurs de première main sur le terrain, leurs rapports étaient cliniques et leurs commentaires dénués d’arrière-pensées. Pour les comptes rendus sionistes, j’ai utilisé les notes mêmes des organisations terroristes quand c’était possible, j’ai traduit des comptes rendus tels que des journaux intimes et des documents de l’Agence juive, ainsi que les travaux des érudits israéliens qui ont passé au crible le peu d’archives sionistes qui ont été rendues disponibles, principalement Ilan Pappé, Benny Morris et Tom Segev. J’ai complété tout cela par des documents en provenance des renseignements américains et de la littérature spécialisée existant sur le sujet.
« Terrorisme juif » était le terme communément utilisé pendant le Mandat, mais, quand je ne cite pas textuellement ou ne paraphrase pas une source, je préfère le terme plus adéquat de « terrorisme sioniste », comme le faisaient les représentants arabes à l’ONU, dans les années 1947-1948. Quand je fais référence au peuple autochtone de la Palestine, je préfère le terme évident de « Palestiniens » au terme ethnique au sens large d’« Arabes », particulièrement quand « Arabe » est utilisé comme outil d’expropriation, dépeignant les Palestiniens comme un non-peuple sans nom constitué de simples taches nomades dans une grande masse arabe et qui devrait être heureux de pouvoir disparaître dans cette masse14.
Certains paragraphes couvrant la période 1944-1947 consistent essentiellement en récits d’attaques sans commentaire additionnel. J’ai estimé qu’il était essentiel pour le livre de les inclure chronologiquement dans le texte, parce que leur caractère implacable fait partie intégrante du contexte. Néanmoins, certains lecteurs pourraient les trouver pénibles et tout simplement préférer survoler certains de ces paragraphes, sans perte pour la compréhension dans son sens large.
Tom Suárez
Londres, avril 2016
* En raison de sa popularité et de son acceptation très répandue aux États-Unis, il conviendrait de faire mention de l’interprétation, popularisée par Joan Peters (From Time Immemorial) et, après Peters, par Alan Dershowitz (The Case for Israel), selon laquelle les Palestiniens sont des Arabes qui ont convergé en nombre vers la Palestine en raison de l’immigration sioniste. Cette interprétation tente donc de rejeter le droit des Palestiniens à l’autodétermination. Pour une analyse de ce postulat, « si absurde qu’en Israël les historiens professionnels le désavouèrent » (Ilan Pappé, La propagande d’Israël, p. 37), voir, par exemple, Norman Finkelstein, ‘Disinformation and the Palestine Question : The Not-So-Strange Case of Joan Peters’ From Time Immemorial, dans Said et Hitchens, réd., Blaming the Victims : Spurious Scholarship and the Palestinian Question, [Londres : Verso, 1988, pp. 33-70] ; et David Hirst, Gun and the Olive Branch, pp. 8-12. Avant Peters, dans les années 1940, l’Organisation sioniste mondiale (OSM) lança des projets de recherche dans une tentative futile d’étayer une telle allégation (Segev, Complete, p. 300).
* Israël tire de substantiels avantages en n’annexant pas officiellement la Cisjordanie. Primo, cela permet de présenter une façade de « gouvernement » palestinien, ce qui décharge Israël de ses responsabilités vis-à-vis des territoires occupés sous la législation internationale ; secundo, cela permet à Israël de refuser aux Palestiniens le droit de vote tout en maintenant la façade de la démocratie israélienne, même si c’est Israël, et non l’Autorité palestinienne, qui contrôle leurs existences ; tertio, cela répercute sur la « communauté internationale » les coûts de la paralysie infligée par Israël à l’économie palestinienne, et l’« aide étrangère » à la Palestine se mue donc en vérité en un don d’argent déguisé à Israël ; et, quarto, la répression politique à l’encontre des Palestiniens est appliquée au nom de l’Autorité palestinienne, et non d’Israël.
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