(French) Face aux Caricatures de la Haine, la Non-Violence s’Impose

ORIGINAL LANGUAGES, 15 Oct 2012

Abbas Aroua – TRANSCEND Media Service

Les dernières semaines ont connu la résurgence des tensions occidento-islamiques autour de l’opposition apparente entre la liberté d’expression et le respect des symboles religieux. Nous espérions que le malheureux épisode des caricatures « Muhammeds ansigt » (Visage de Mohammed) publiées le 30 septembre 2005 par le journal danois Jyllands-Posten et la réaction violente dans certaines villes du monde musulman avait donné à réfléchir aux uns et aux autres sur les risques que font encourir à la paix dans le monde la provocation et la réaction violente à la provocation.

La manière quasi non-violente dont fut traitée l’affaire du film « Fitna » (Discorde) diffusé sur l’Internet le 27 mars 2008 par l’homme politique hollandais d’extrême-droite Geert Wilders nous réconfortait dans cet espoir. Mais la diffusion sur le Web au début de ce mois du film « Innocence of Muslims » (Innocence des musulmans) et la publication le 19 septembre 2012 des caricatures de Charlie Hebdo sur le prophète Mohammad ainsi que la colère et les manifestations de violence suscitées dans certains pays musulmans indiquent qu’hélas, la leçon n’a pas été retenue de l’épisode précédent.

On peut classer les attitudes et les comportements en Occident vis-à-vis de l’Islam qui sont perçus négativement dans le monde musulman en sept catégories :

1) La critique de l’Islam, c’est-à-dire la remise en question des valeurs islamiques à partir d’un référentiel occidental, ceci étant motivé en Occident par la perception d’une contradiction (réelle ou imaginaire) entre les valeurs occidentales et islamiques. Il s’agit d’une critique intellectuelle et rationnelle et relève de la méthodologie ;

2) L’anti-islamisme, qui consiste à s’opposer à l’interférence de l’Islam (et de la religion en général) dans la sphèrepolitique ; ce qui est de l’ordre de la politologie ;

3) L’« anti-Islam »-isme, qui est le rejet de l’Islam sur une base dogmatique religieuse ; relevant donc de la théologie ;

4) L’islamophobie, ou la peur et les préjugés irrationnels à l’égard de l’Islam et des musulmans. L’ignorance de l’autre, le manque de communication et d’entre-connaissance ainsi que les « blessures collectives » anciennes et récentes non guéries car non traitées sont les principales causes de cette peur ; ceci relève de la psychologie ;

5) L’islamo-racisme, qui perçoit les musulmans en Occident comme une « race » étrangère invasive et menaçante de l’identité et du bien-être des indigènes, et justifie leur discrimination, voire persécution ; c’est le domaine de l’idéologie.

Pour ces cinq catégories, la meilleure approche est le dialogue, qu’il soit intellectuel, politique ou religieux, et l’échange pour dissiper les craintes. Il y a par contre deux autres catégories où le dialogue et l’échange peuvent s’avérer inefficaces.

6) La provocation des musulmans ; il s’agit d’une attitude vicieuse et d’un comportement agressif gratuit vis-à-vis des musulmans, ce qui est de l’ordre de la pathologie. A ceci, le seul remède efficace est l’ignorance et l’indifférence.

7) La manipulation des musulmans, c’est-à-dire l’induction malintentionnée et opportuniste de la violence dite islamique pour servir des objectifs individuels ou collectifs, politiques ou économiques, ce qui est de l’ordre de la stratégie. A cette dernière catégorie, la meilleure approche est l’ignorance ou la réaction non-violente, car toute violence ne fait que conforter les provocateurs dans leur stratégie.

Le film « Innocence of Muslims » et les caricatures de Charlie Hebdo semblent s’inscrire dans cette dernière catégorie, bien que leurs auteurs veuillent les « vendre » comme des contributions nécessaires pour la défense de la liberté artistique et la liberté d’expression. Certains analystes politiques font observer que les caricatures suivent une logique opportuniste purement commerciale, visant à doper les ventes en déclin de l’hebdomadaire français, alors que le film cache des visées politiciennes liées à la campagne électorale aux Etats-Unis, aux tensions israélo-américaines sur le dossier iranien, et à la volonté de certains individus et groupes de saper la dynamique d’émancipation engagée dans le monde arabe depuis l’an dernier.

La violence qui a suivi la diffusion du film, notamment l’attaque du consulat états-unien à Benghazi et la mort de diplomates, a été largement condamnée partout dans le monde, particulièrement dans le monde arabe et musulman, de même que la violence infligée par les auteurs du film à des millions de musulmans à travers le monde. Dans la déclaration conjointe de la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, du secrétaire général de l’Organisation de la Coopération islamique, du secrétaire général de la Ligue des Etats arabes et du président de la Commission de l’Union africaine, publiée le 20 septembre 2012, les quatre organisations régionales affirment partager « la souffrance qu’inspirent aux Musulmans le film qui insulte l’Islam ». Navi Pillay, Haut Commissaire de l’ONU pour les droits de l’homme, déclarait pour sa part le 14 septembre 2012, que « le film est malveillant et délibérément provocateur ; il dépeint honteusement une image déformée des musulmans, » et d’ajouter : « Je comprends parfaitement pourquoi les gens souhaitent protester énergiquement contre ce film, et c’est leur droit de le faire pacifiquement. » En France, Manuel Vals, ministre de l’intérieur, a jugé opportun de suspendre ce droit en interdisant aux musulmans de manifester pacifiquement dans les villes françaises, pour préserver l’ordre public. Cette interdiction ne fait en fait qu’exaspérer les tensions intercommunautaires, car les musulmans de France ne comprennent pas pourquoi le ministre Vals n’a pas pensé à suspendre aussi le droit à la publication des caricatures pour préserver le même ordre public.

Le débat est loin d’être clos concernant l’équilibre à trouver entre défense du droit d’expression et respect des symboles religieux, entre le droit à tout critiquer et le droit à ne pas être insulté, et la frontière à fixer afin de séparer l’expression artistique de l’expression de la haine. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a eu du mal à faire adopter en mars 2011, après de longs mois de débats, la résolution 16/18 qui appelle en des termes consensuels à une action coordonnée au plan national et international pour que des droits et libertés ne soient pas mal utilisés pour saper d’autres droits et libertés. Dans ce débat souvent passionné, beaucoup oublient que les valeurs suprêmes qui ont la primauté sur les autres sont la paix et la vie sacrée de l’âme innocente. Ce sont elles qui fixent les limites des divers droits et libertés et dictent à tous la non-violence dans l’expression par la parole ou par les actes.

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Abbas Aroua est physicien médical. Il enseigne à la Faculté de Médecine de l’Université de Lausanne. Il est directeur de la Fondation Cordoue de Genève pour les Études de la Paix et membre de TRANSCEND International chargé du monde arabe.

This article originally appeared on Transcend Media Service (TMS) on 15 Oct 2012.

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