(French) Les Liens Troubles entre le Vatican et l’Azerbaïdjan : l’Arménie, Dindon de la Farce

ORIGINAL LANGUAGES, 28 Apr 2025

Diran Noubar – TRANSCEND Media Service

24 Apr 2025 – Le Pape François vient de mourir en laissant de la poussière sous le tapis.

Depuis des décennies, le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan autour du Haut-Karabagh (Artsakh) est un drame humain et géopolitique qui met en lumière les jeux d’influence complexes dans le Caucase. Alors que l’Arménie, premier pays à avoir adopté le christianisme comme religion d’État en 301, pourrait naturellement attendre un soutien moral ou diplomatique de la part du Vatican, siège de l’Église catholique et acteur influent sur la scène internationale, la réalité est bien plus nuancée – et troublante. Les relations entre le Vatican et l’Azerbaïdjan, marquées par une coopération croissante, soulèvent des questions sur les priorités du Saint-Siège, laissant l’Arménie dans une position de victime collatérale, souvent reléguée au rang de “dindon de la farce” dans cette équation.

Une Amitié Vatican-Azerbaïdjan en Pleine Croissance

Les liens entre le Vatican et l’Azerbaïdjan se sont renforcés au fil des années, notamment depuis la visite historique du pape Jean-Paul II à Bakou en 2002. À l’époque, cette visite avait été présentée comme un geste de dialogue interreligieux, l’Azerbaïdjan se targuant d’une image de “tolérance religieuse” malgré son régime autoritaire sous la férule d’Ilham Aliev. Depuis lors, les relations n’ont fait que s’approfondir. Le Vatican a régulièrement salué cette prétendue tolérance, passant sous silence les violations des droits humains, la répression des opposants politiques et, plus récemment, les accusations de nettoyage ethnique dans le Haut-Karabagh.

Un exemple frappant de cette coopération est le soutien financier de l’Azerbaïdjan à des projets archéologiques et culturels au Vatican. Bakou a notamment investi dans la restauration de sites à Rome, une démarche qui, selon certains observateurs, pourrait être interprétée comme une tentative d’acheter le silence ou la bienveillance du Saint-Siège sur des questions sensibles. En 2016, lors de sa visite en Azerbaïdjan, le pape François a tenu des propos mesurés, appelant à la paix sans jamais pointer du doigt les responsabilités de Bakou dans le conflit avec l’Arménie. Cette retenue contraste avec les attentes de la diaspora arménienne, qui espérait une prise de position plus ferme en faveur d’un peuple chrétien historique.

L’Arménie, un Silence Assourdissant

Face à cette dynamique, l’Arménie semble laissée pour compte. En 2023, l’offensive éclair de l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabagh a conduit à l’exode de plus de 100 000 Arméniens, un événement qualifié par beaucoup de “nettoyage ethnique”. Pourtant, les déclarations du Vatican sont restées timorées. Lors de son Angélus du 1er octobre 2023, le pape François a évoqué la “situation dramatique” des déplacés sans condamner explicitement l’Azerbaïdjan, une prudence diplomatique qui a déçu nombre d’Arméniens. Cette neutralité apparente tranche avec l’histoire de l’Arménie, berceau du christianisme, et avec les appels désespérés de ses leaders religieux, comme le Catholicos Karékine II, qui a multiplié les demandes de soutien international.

Pourquoi cette retenue ? Une hypothèse avancée est que le Vatican, dans sa quête de dialogue interreligieux et de stabilité régionale, privilégie ses relations avec l’Azerbaïdjan, un pays musulman chiite mais stratégiquement important pour l’Europe en raison de ses ressources énergétiques. L’Union européenne, dont plusieurs États entretiennent des liens étroits avec le Vatican, dépend du gaz azerbaïdjanais pour réduire sa dépendance à la Russie. Dans ce contexte, une condamnation claire de Bakou risquerait de compliquer ces équilibres géopolitiques, au détriment des intérêts arméniens.

Le Dindon de la Farce : une Arménie Isolée

L’Arménie apparaît ainsi comme la grande perdante de ce jeu diplomatique. Alors que le Vatican pourrait jouer un rôle de médiateur ou de défenseur moral des chrétiens persécutés, il semble avoir opté pour une realpolitik qui sacrifie les aspirations arméniennes sur l’autel d’intérêts plus larges. Cette posture n’est pas sans précédent : pendant la Seconde Guerre mondiale, Pie XII avait adopté un silence controversé face aux atrocités nazies pour protéger les catholiques sous influence allemande. Aujourd’hui, avec seulement 150 000 catholiques en Arménie contre une communauté minuscule de 400 fidèles en Azerbaïdjan, le Saint-Siège semble privilégier un partenaire qui, paradoxalement, n’a que peu de poids confessionnel à lui offrir.

Pendant ce temps, l’Azerbaïdjan capitalise sur cette complaisance. En détruisant le patrimoine culturel arménien – comme les khatchkars de Djoulfa au Nakhitchevan dans les années 1990 ou la cathédrale de Ghazanchetsots à Chouchi en 2020 – Bakou efface les traces de l’histoire arménienne tout en cultivant son image de partenaire “fiable” auprès de l’Occident et du Vatican. L’Arménie, elle, se retrouve isolée, abandonnée par un allié spirituel potentiel et confrontée à l’indifférence d’une communauté internationale plus sensible aux pipelines qu’aux prières.

Conclusion : un Équilibre Précaire

Les liens troubles entre le Vatican et l’Azerbaïdjan révèlent une diplomatie vaticane pragmatique, mais au prix d’une apparente trahison des valeurs qu’elle prétend défendre. L’Arménie, avec son héritage chrétien millénaire, se voit reléguée au second plan, victime d’un jeu où les intérêts économiques et stratégiques l’emportent sur la solidarité religieuse. Dans cette farce géopolitique, elle joue malgré elle le rôle du dindon, tandis que le Vatican et l’Azerbaïdjan dansent un tango diplomatique dont les pas semblent bien rodés. Reste à savoir si cette stratégie portera ses fruits ou si elle ne fera qu’alimenter un ressentiment durable parmi les Arméniens, chrétiens oubliés d’un Caucase en feu, qui pour l’instant, et bien tristement, ne pleurent guère le défunt pape, bien au contraire.

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Diran Noubar, an Italian-Armenian born in France, has lived in 11 countries until he moved to Armenia. He is a world-renowned, critically-acclaimed documentary filmmaker and war reporter. Starting in the early 2000’s in New York City, Diran produced and directed over 20 full-length documentary films. He is also a singer/songwriter and guitarist in his own band and runs a nonprofit charity organization, wearemenia.org.


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