(French) Des Paysans Haïtiens Prêts à Brûler des Semences Hybrides de Monsanto
ORIGINAL LANGUAGES, 5 Jul 2010
Beverly Bell – Centre Tricontinental
« Un nouveau tremblement de terre » : c’est comme cela que Chavannes Jean-Baptiste, agriculteur et leader du Mouvement Paysan Papaye (Mouvman Peyizan Papay- MPP), a accueilli la nouvelle selon laquelle Monsanto va donner 60 000 sacs (soit 475 tonnes) de semences hybrides de maïs et de légumes dont certaines sont traitées avec des pesticides fortement toxiques. Le MPP s’est engagé à brûler les semences de Monsanto et a appelé à une marche de protestation contre la présence des multinationales à Haïti le 4 juin 2010, pour la journée mondiale de l’environnement.
Dans une lettre ouverte datée du 4 mai 2010, Chavannes Jean-Baptiste, directeur exécutif du MPP et porte-parole du Mouvement Paysan National du Congrès de Papaye (MPNKP) a décrit l’introduction des semences Monsanto en Haïti comme « un très rude coup porté aux petites exploitations agricoles, aux cultivateurs, à la biodiversité, aux semences créoles, etc. et à ce qui reste de notre environnement en Haïti. [1] » Les mouvements sociaux haïtiens se sont fait entendre en s’opposant aux importations par les firmes agroalimentaires de semences et d’aliments, qui sapent la production locale à partir de ses propres stocks de semences. Ils ont particulièrement exprimé leurs inquiétudes relatives à l’importation d’organismes génétiquement modifiés (OGM).
Pour l’instant, comme il n’existe aucune loi réglementant l’utilisation des OGM en Haïti, le Ministère de l’Agriculture rejette l’offre de semences OGM Roundup Ready de Monsanto. Dans un échange de courriels, un représentant de Monsanto a assuré le Ministère de l’Agriculture que les semences offertes n’étaient pas des OGM.
Elizabeth Vancil, directrice des initiatives de développement chez Monsanto, a déclaré dans un courriel datant du mois d’avril, en apprenant que le Ministère de l’Agriculture haïtien acceptait leur don, que c’était « un fabuleux cadeau de Pâques [2] ». Monsanto est connu pour promouvoir de façon agressive ses semences, en particulier les semences OGM, tant dans les pays du nord que du sud, y compris par le biais d’accords technologiques extrêmement restrictifs pour des agriculteurs qui ne sont pas toujours très bien informés de ce qu’ils signent. Selon des interviews que l’auteur a réalisées avec des représentants d’ organisations de petits paysans mexicaine, ceux-ci se retrouvent alors obligés d’acheter des semences Monsanto chaque année à des conditions accablantes et à des coûts qu’ils ne peuvent pas toujours se permettre.
Les semences de maïs hybrides que Monsanto a données à Haïti sont traitées avec le fongicide Maxim XO et les semences de tomates calypso avec le thiram [3]. Le thiram appartient à une catégorie hautement toxique de produits chimiques appelés bisdithiocarbamates (EBDC). Les résultats des tests des produits EBDC sur des souris et des rats ont inquiété l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (United States Environmental Protection Agency ou EPA), qui a alors demandé des examens complémentaires sur ces produits. L’EPA a établi que les plantes traitées aux EBDC sont si dangereuses pour les travailleurs agricoles qu’ils doivent, lors de leur maniement, porter des vêtements spéciaux pour se protéger. L’EPA a décrété que les pesticides contenant du thiram doivent être accompagnés d’ un avertissement spécial. L’EPA a également interdit la commercialisation de ces produits chimiques pour les jardins des particuliers dans la mesure où la plupart des jardiniers n’ont pas les protections adéquates [4]. Le courriel de Monsanto au Ministère de l’Agriculture qui mentionne le thiram, ne fait aucune mention des dangers que fait encourir ce produit et ne propose pas de protections spéciales ni de formation pour ceux qui cultiveront ces semences toxiques.
L’inquiétude des mouvements sociaux d’Haïti ne concerne pas seulement les dangers liés aux produits chimiques et la possibilité de prochaines importations d’OGM. Ils affirment que l’avenir d’Haïti dépend de la production locale d’une alimentation locale pour une consommation locale – ce qu’on appelle la souveraineté alimentaire. L’arrivée de Monsanto en Haïti, déclarent-ils,constitue une nouvelle menace pour cette souveraineté.
« Les Usaméricains doivent nous aider à produire, pas nous donner des produits alimentaires et des semences qui anéantissent nos chances de subvenir à nos propres besoins », déclare Jonas Deronzil, un fermier d’une coopérative paysanne dans la région rurale de Verrettes [5].
Monsanto s’est depuis longtemps attiré la colère des écologistes, des militants pour la santé et des petits agriculteurs ; cela remonte à sa production de l’Agent orange durant la guerre du Vietnam. L’exposition à l’Agent orange a provoqué des cancers chez un nombre considérable de vétérans US et le gouvernement vietnamien affirme que 400 000 Vietnamiens ont été tués ou handicapés par l’Agent orange et que 500 000 enfants sont nés avec des malformations congénitales à cause de leur exposition à l’agent [6].
La devise initiale de Monsanto, « Sans produits chimiques, la vie elle-même serait impossible », a été remplacée par « Imagine ». La page d’accueil de son site Internet déclare que Monsanto « aide les agriculteurs du monde entier à produire plus en préservant mieux. Nous aidons les agriculteurs à réussir de manière durable, en produisant une alimentation saine… tout en réduisant l’impact de l’agriculture sur notre environnement [7]. » Le passé de l’entreprise jette un doute sur ces affirmations.
Avec Syngenta, Dupont et Bayer, Monsanto contrôle plus de la moitié des semences du monde [8]. La société détient presque 650 brevets de semences, la plupart pour le coton, le maïs et le soja et elle possède presque 30 % de toute la recherche et développement en biotechnologie. Monsanto est arrivé à une telle concentration en rachetant les principales entreprises semencières afin d’étouffer la concurrence, en faisant breveter des variétés de plantes génétiquement modifiées et poursuivre en justice les petits agriculteurs. Monsanto est également un des premiers producteurs d’OGM.
Depuis 2007, Monsanto a intenté 112 procès à des agriculteurs US pour violations présumées de contrat technologique de brevets d’OGM, mettant en cause 372 cultivateurs et 49 petites entreprises agricoles dans 27 États différents. Avec ces procès, Monsanto a gagné plus de 21,5 millions $ par jugement. Il semble que la multinationale s’emploie à faire des enquêtes sur 500 cultivateurs par an, selon les propres documents de Monsanto et des rapports des médias [9].
« Des agriculteurs ont été condamnés après que leur champ eut été contaminé par du pollen ou des semences issus du champ transgénique d’un voisin ; ou quand des “graines rebelles” provenant d’une culture précédente et restées en terre ont germé, l’année suivante, au milieu d’une plantation non transgénique », ont indiqué Andrew Kimbrell et Joseph Mendelson du Centre pour la sécurité alimentaire [Center for Food Safety] [10].
En Colombie, Monsanto a reçu plus de 25 millions de $ du gouvernement US pour fournir du Roundup Ultra pour la fumigation des champs dans le cadre de la lutte anti-drogue du Plan Colombie. Roundup Ultra est une version hautement concentrée du glyphosate , un herbicide de Monsanto, avec des ingrédients complémentaires pour augmenter son effet destructeur. Des communautés de Colombie et des organisations de défense des droits de l’homme ont accusé l’herbicide de détruire les cultures alimentaires, de contaminer les sources et les zones protégées et d’augmenter les cas de malformations congénitales et de cancers.
Via Campesina, la plus grande confédération paysanne du monde présente dans plus de 60 pays, a traité Monsanto d’un des « ennemis principaux de l’agriculture paysanne durable et de la souveraineté alimentaire pour tous les peuples [11]. » Ils prétendent que, Monsanto et d’autres multinationales, en contrôlant une part sans cesse croissante des terres et de la production agricoles, forcent les petits cultivateurs à quitter leur terre et leur métier. Ils affirment également que les géants de l’agroalimentaire contribuent au changement climatique et à d’autres désastres environnementaux, une conséquence de l’agriculture industrielle [12].
La coalition Via Campesina a lancé une campagne mondiale contre Monsanto le 16 octobre dernier, lors de la Journée mondiale de l’alimentation, avec des manifestations, des occupations de terre et des grèves de la faim dans plus de 20 pays. Ils ont mené une seconde journée mondiale d’actions contre Monsanto le 17 avril de cette année, en l’honneur du Jour de la Terre.
Des organisations non-gouvernementales usaméricaines contestent elles aussi les pratiques de Monsanto. L’Organic Consumers Association (Association des consommateurs bio) a mené la campagne « Des millions contre Monsanto », appelant la compagnie à cesser d’intimider les petits agriculteurs familiaux, de vendre aux consommateurs des aliments génétiquement modifiés non testés et non identifiés et d’utiliser les milliards de dollars des contribuables US pour financer les cultures d’OGM [13].
Le Center for Food Safety a mené un combat judiciaire de 4 ans contre Monsanto qui vient de faire appel auprès de la Cour Suprême des USA. Après différents procès perdus par Monsanto et intentés par le Département de l’Agriculture des USA en raison de la promotion illégale de l’Alfalfa Roundup Ready, le tribunal entendu l’exposé des griefs du Center for Food Safety le 27 avril. Une décision sur cette affaire, la première affaire d’OGM jugée par la Cour Suprême, est désormais en instance [14].
« Combattre les semences hybrides et les OGM est crucial pour sauver notre biodiversité et notre agriculture », a déclaré Jean-Baptiste dans une interview en février. « Nos terres ont un potentiel suffisant pour nourrir toute la population et même pour exporter certaines denrées. La bonne politique pour y parvenir est la souveraineté alimentaire, où chaque territoire a le droit de définir ses propres politiques agricoles, de chercher d’abord à nourrir sa famille et ensuite à approvisionner le marché local, et de produire une alimentation saine selon des techniques qui respectent l’environnement et la Terre Mère. »
Grand merci à Moira Birss pour son aide dans les recherches et l’écriture de cet article.
Voir en ligne : tlaxcala.es
Notes
[1] Courriel groupé de Chavannes Jean-Baptiste, 14 mai 2010.
[2] Courriel d’Elizabeth Vancil à Emmanuel Prophete, Directeur des semences au Ministère de l’Agriculture haïtien, et à d’autres ; publié par le Ministère de l’Agriculture haïtien, date non disponible.
[3] Idem.
[4] Extension Toxicology Network, Pesticide Information Project of the Cooperative Extension Offices of Cornell University, Michigan State University, Oregon State University and University of California at Davis.
[5] Commentaires de Jonas Deronzil extraits d’une interview du mois d’avril 2010. Il ne parlait pas spécialement de Monsanto.
[6] “MSNBC,” 23 janvier 2004. “Study Finds Link Between Agent Orange, Cancer” (Une étude a découvert un lien entre l’agent Orange et le cancer) The Globe and Mail, 12 juin 2008. “Last Ghost of the Vietnam War” (le dernier fantôme de la guerre du Vietnam.)
[8] La Vía Campesina, “La Vía Campesina carries out Global Day of Action against Monsanto” (La Via Campesina mène une journée mondiale d’action contre Monsanto), 16 octobre 2009.
[9] Center for Food Safety (Centre pour la sécurité alimentaire), “Monsanto vs. US Farmers”, Novembre 2007.
[10] Andrew Kimbrell et Joseph Mendelson, Center for Food Safety, “Monsanto vs. US Farmers”, 2005.
[11] La Vía Campesina, 16 octobre, 2009, Op. Cit.
[12] La Vía Campesina, “La Vía Campesina Call to Action 17 April 2010 – Join the International Day of Peasant Struggle” (La Via Campesina appelle à manifester le 17 avril 2010 : participez à la journée mondiale de lutte paysanne) le 23 février 2010.
[13] Organic Consumers Association, “Taxpayers Forced to Fund Monsanto’s Poisoning of Third World” (les contribuables forcés de payer pour l’empoisonnement du tiers-monde par Monsanto), Finland, Minnesota.
[14] Center for Food Security, “Update : CFS Fighting Monsanto in the Supreme Court,” 11 mai 2010.
Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l’entière responsabilité de l’auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.
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