(Français) Guerres et terrorisme: « l’effet boomerang »
ORIGINAL LANGUAGES, 10 Apr 2017
Alex Anfruns | Investig’Action – TRANSCEND Media Service
3 Avr 2017 – Est-ce que l’OTAN garantit notre sécurité ? Les gens s’interrogent de plus en plus à ce sujet. Aux élections présidentielles françaises, la sortie de l’OTAN figure noir sur blanc dans le programme de la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon. En Belgique également, quelques voix courageuses ont dressé le bilan des guerres menées au nom d’un organisme qui défend les intérêts des Etats-Unis. L’écrivain et militant pacifiste belge Ludo De Brabander en fait partie. Nous l’avons interviewé pour tirer au clair la stratégie de la France et la Belgique vis-à-vis des menaces terroristes, les intentions de l’administration Donald Trump dans le conflit syrien, ainsi que les enjeux du prochain Sommet.
Début 2012 vous êtes allé en Syrie pour constater de vos propres yeux quelle était la réalité sur place. A votre retour, votre engagement pacifiste était encore plus solide, c’est pourquoi vous avez continué à témoigner sur les dessous et le développement de ce conflit. Selon vous, quel rôle a joué la Belgique?
C’est difficile à dire, pour cela il nous faudrait revoir la chronologie des événements qui ont eu lieu en Syrie. La rébellion a commencé par des manifestations qui se sont transformées très rapidement en conflits armés et qui ont été nourris, nous le savons tous, par quelques pays comme l’Arabie Saoudite, la Turquie ou par l’État du Qatar. Ceux-ci représentent la première « couche » d’acteurs de ces conflits internes puis on trouve les pouvoirs régionaux et enfin la couche internationale représentée par les États-Unis, la France et le Royaume Uni.
Il y a plusieurs étapes à prendre en compte dans le développement de ces conflits, la Belgique était déjà engagée dans le conflit irakien et rapidement par la suite dans le syrien après l’apparition de Daech, qui sert de prétexte. La Belgique fait aujourd’hui partie d’une coalition internationale formée de douze ou treize pays qui bombardent surtout le nord de l’Iraq mais aussi une petite partie du nord de la Syrie.
Le rôle de la Belgique est de participer à cette guerre internationale dans ces deux pays mais je ne suis pas le seul à penser que les opérations menées dans le nord de la Syrie ne sont pas conformes au droit international ; il n’y a pas eu de mandat de la part des Nations Unies, car rappelons que ce n’est pas pour se défendre que la Belgique participe à cette guerre, sa politique n’est donc pas conforme au droit international.
Deuxième point à ne pas sous-estimer et qui est valable pour la Belgique mais aussi pour l’Europe et les pouvoirs occidentaux ; c’est leur politique d’armement. Il nous faut considérer certains pays qui sont fortement armés, comme c’est le cas, notamment, de l’Arabie saoudite.
En 2015, la région wallonne présente un chiffre de 600 millions d’euros de budget pour l’armement destiné à l’Arabie Saoudite, une partie de leur vieil arsenal est récupérée par la Syrie et une autre est utilisée au Yémen pour une guerre aussi cruelle que celle qui a lieu en Syrie. Par conséquent, le conflit syrien est nourri par tous ces acteurs, dont la Belgique fait partie, qui entretiennent ce commerce. Et par le soutien de l’armement de l’Arabie Saoudite.
Vous avez écrit un livre dans lequel vous décrivez « l’effet boomerang » des guerres. Cela fait aujourd’hui un an que s’est produit l’attentat à l’aéroport de Bruxelles. Que pensez-vous des mesures préventives prises par la Belgique en matière de lutte contre le terrorisme?
Pour tenter de résumer; il y a eu deux types de discours dans notre presse et dans le débat politique après les événements de Paris et de Bruxelles. J’ai commencé à écrire mon livre après les attentats de Paris et je l’ai terminé au moment de ceux de Bruxelles.
Nous avons pu lire un premier discours de la droite qui a mis en avant le caractère agressif et violent de la culture islamique et l’idée qu’un certain volet de l’Islam aurait poussé ces jeunes à commettre les attentats. Ce n’est pas mon avis, ce n’est pas un caractère propre à l’islam et si on analyse l’Histoire, toutes les religions ont utilisé leurs dogmes pour légitimer la violence.
Quant au discours de la gauche, une partie a mis l’accent sur le fait que si on regarde le profil de tous les acteurs des attentats, on peut voir alors que ces jeunes, que j’appelle les « fast-food djihadistes », ont reçu une petite lecture du Coran et de certaines sources de l’islam. Ils ont été aidés par certains acteurs fondamentalistes islamistes qu’ils ont pu rencontrer, ont développé en trois ou quatre mois une sorte d’islamisme radical qui n’est pas du tout le même que celui qui est vécu par la plupart des gens.
Ces jeunes cherchent possiblement une identité, ils sont dans un environnement social qui les stimule dans cette voie et les rapproche de cette exploitation violente des textes de l’islam, nous abordons là l’aspect socio-économique, culturel, etc. Personnellement, j’adhère à ce discours de la gauche. C’est pour moi une bonne partie de l’explication, mais ce n’est pas sa totalité non plus.
D’ailleurs, les Nations Unies ont transmis un rapport qui affirme que pour combattre ce terrorisme il faut investir dans la cohésion sociale et dans la culture, pour que ces personnes se sentent à l’aise et acceptées dans la société. Un exemple de la vie de tous les jours montre qu’une jeune personne marocaine, par exemple, peut se faire contrôler par la police deux fois par an au minimum, alors que pour une personne à peau blanche cela n’arrive quasiment jamais. Quotidiennement, cela leur montre qu’ils ne font pas partie de notre société et c’est ce qui fait qu’ils cherchent une nouvelle identité.
Vous n’êtes visiblement pas satisfait des différents diagnostics concernant l’ampleur de ce problème dans nos sociétés…Quelles sont ces lacunes ?
Pour moi, une autre explication remarquable et importante qui n’était pas dans le débat, se situe au niveau des frustrations géopolitiques, c’est à dire la politique générale de guerre adoptée au Moyen Orient. Et c’est surtout remarquable quand on se penche sur les textes de revendication de l’État islamique après les attentats, qui étaient très clairs et disaient simplement : «…tant que vous nous bombarderez on vous attaquera également, on se vengera…». Il faut remarquer qu’ils font directement référence à la politique de guerre qui est menée dans leur propre pays. En fait, la France était déjà active dans les conflits, pas seulement au nord de l’Irak mais aussi en Syrie et l’attaque à Paris était une réponse à cette politique de guerre mais cela a été effacé du débat politique.
Si nous prenons l’exemple du réfugié irakien qui veut fuir en bateau et traverser vers le Royaume-Uni , n’était-il pas là en 2003 quand c’était déjà la guerre en Irak déclarée par les Etats-Unis et par le Royaume-Uni? Donc on a coupé ce lien entre l’Irakien qui doit s’enfuir de son pays et la politique de guerre et d’occupation qui a été menée depuis bientôt plus de 15 ans.
Et est-ce qu’on pourrait parler de l’Etat islamique aujourd’hui s’il n’y avait pas eu cette guerre de 2003 ? Cette politique de guerre et d’occupation divise la population, nourrit le sectarisme en Irak ainsi que le terrorisme. C’est cela que j’appelle « l’effet boomerang » .
Revenons à la stratégie des Etats-Unis. Visiblement, l’arrivée de Donald Trump a soulevé des réactions diverses et se pose la question d’un éventuel changement de stratégie de leur part vis-à-vis du conflit syrien. Il a été récemment annoncé un envoi de mille soldats sur le sol syrien. Qu’en pensez-vous ?
Je crois qu’on s’est « trumpé », car au début on le présentait comme un isolationniste comme quelqu’un qui n’entamerait pas de politique de confrontation contre la Russie, etc. Mais je ne pense pas qu’il mènera une politique étrangère différente de celle d’Obama ou de celle des présidents précédents, il y a une constante.
Que Trump Dise « America First » signifie qu’ils doivent avoir accès aux sources et aux richesses du monde, il a donc aussi annoncé il y a quelques semaines qu’il augmentait le budget de la défense de 54 milliards de dollars (à noter qu’il est plus important que celui de la Russie), qui seront surtout destinés à la marine et aux avions de chasse, c’est le matériel nécessaire pour contrôler les axes de transport les plus importants des richesses du monde, comme par exemple en Mer de Chine.
Quelles différences pourrait-on voir entre la gestion du conflit par Donald Trump et celle de l’administration précédente?
Il n’y a pas de différence fondamentale entre Trump et Obama mise à part leur rhétorique. Obama est vu comme quelqu’un de très diplomate mais aussi contradictoire ; ses discours sont très convaincants, comme celui d’ avril 2009 sur « un monde sans nucléaire » mais parallèlement il décide d’investir 1.000 milliards dans les armes nucléaires.
C’est aussi valable pour sa politique sur les drones qu’il a utilisés au Pakistan, au Yémen, etc. Il a utilisé ce type de matériel comme outil de guerre dans ces pays sans aucune autorisation internationale de la part des Nations-Unies.
Donald Trump fait la même chose en étant un peu plus direct et « brutal », dirons-nous, dans son discours et dans sa politique. Il continue sur la même lancée, il y a déjà quelques centaines de marines américains dans le nord de la Syrie, un millier de soldats autour de Mossoul qui font aussi partie de l’opération et il va sûrement augmenter le nombre de troupes, il avait annoncé que le combat contre l’Etat islamique est prioritaire.
Obama avait dit la même chose dès 2013 mais surtout en 2014 lorsque l’Etat Islamique avait conquis une grande partie du nord de la Syrie et de l’Iraq. Ils se sont aussi de plus en plus impliqués dans ce conflit pour une question de stratégie de rivalité avec la Russie car, depuis l’été 2015, la Russie a décidé sérieusement de soutenir l’armée syrienne. C’est donc très important pour les Etats Unis de rester présents sur les terrains du nord de la Syrie, et sur le terrain diplomatique pour garder un pouvoir de décision sur les négociations politiques et diplomatiques.
Au moment des cessez-le-feu l’an passé, la Russie s’est réunie au Kazakhstan avec la Turquie et l’Iran sans la présence des Etats-Unis. Donc, d’un point de vue des négociations diplomatiques, la Russie a presque réussi à chasser les Etats-Unis de la Syrie.
Le Premier ministre belge a annoncé que le nouveau quartier général de l’Otan était prêt à accueillir Donald Trump le 25 mai 2017. Que peut-on espérer de cette visite, compte tenu de certaines réactions d’incertitude que les dirigeants des pays européens ont exprimé envers ce nouveau président?
La date de ce rendez-vous n’a pas encore été officialisée par l’Otan même, mais le 24 ou le 25 mai sont les dates qui sont normalement prévues. Il y avait déjà eu une première réunion de l’Otan depuis l’investiture de Donald Trump concernant les ministres de la Défense. James Mattis, le ministre de la Défense américain choisi par Trump est donc déjà venu en Europe et lors du conseil de sécurité à Munich.
Lors du prochain sommet à Bruxelles une question importante sera celle des budgets alloués à la Défense, ce qui n’est pas nouveau, cependant Donald Trump insiste davantage que son prédécesseur sur la question même si Obama exerçait déjà une pression très forte à ce sujet.
La déclaration ressortant du sommet du Pays De Galles de septembre 2014 énonçait que « Les Alliés qui se conforment actuellement à la directive OTAN recommandant un niveau minimum de dépenses de défense de 2 % du produit intérieur brut (PIB) chercheront à continuer de le faire. De même, les Alliés qui consacrent actuellement plus de 20 % de leur budget de défense aux équipements majeurs, y compris la recherche et développement y afférente, continueront de le faire.»
C’est une pression importante qui nous permet de voir que les chiffres sont un peu montés depuis et que nous pouvons nous attendre à une augmentation future entre dix à vingt milliards d’euros d’investissement des pays européens pour leur budget militaire. D’ailleurs, le ministre de la Défense avait vraiment insisté sur ces 2% et sur l’élaboration d’un plan concret s’inscrivant dans la loi pour garantir cette augmentation dans un futur proche. Durant un temps, les pays européens étaient discrets sur cette question à cause de la politique d’austérité, aujourd’hui la pression est trop forte.
En novembre dernier, au cours du contrôle du budget Belge, il avait été dit que neuf cents millions d’euros devaient être épargnés sur la santé sous couvert d’austérité, une semaine plus tard on annonçait l’achat de deux frégates et six chasseurs de mines d’un budget de deux milliards d’euros.
Quelle sera la réponse citoyenne vis-à-vis de ce Sommet ?
En tant que mouvement de paix, nous avons la tradition d’organiser un contre-sommet à l’occasion de chaque grand sommet de l’OTAN. Ces sommets ont normalement lieu tous les deux ans, mais avec l’inauguration du nouveau siège à Bruxelles, cette fois-ci il aura lieu juste un an après le sommet précédent à Varsovie.
Dans nos contre-sommets, on essaie de rassembler le mouvements de paix international, pour ne pas rester seulement dans les analyses, mais aussi de voir aussi comment on peut résister à l’OTAN. C’est un combat très déséquilibré, mais notre défi est de convaincre la population, partout dans chaque pays, que cette politique de guerre n’est pas du tout la solution mais le problème. Cette politique provoque de plus en plus de problèmes.
Donc il ne faut pas investir dans l’armée, il ne faut pas investir dans les guerres. Il faut investir dans les besoins de la population, il faut investir dans la paix. C’est le thème de notre très grande manif contre le « trumpisme » du 24 mai. Il y aura les mouvements de femmes, les groupes de défense de l’environnement, les jeunes, le mouvement de paix… Nous croyons qu’il y aura pas mal d’amis de la France, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, du Pays-Bas qui vont participer à ces actions et se joindront à nous.
Il y aura plusieurs thèmes, pas seulement contre Trump, mais contre le « trumpisme ». C’est à dire les « Trump » qui sont ici, en Europe. Comme dans le gouvernement belge, Wilders aux Pays-Bas, Le Pen en France…la montée de la droite extrême et du populisme de droite en Europe.
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Ouvrages parus de Ludo De Brabander :
- Oorlog zonder grenzen (en néerlandais).
- When NATO Preaches with Passion (avec Georges Spriet, aussi en néerlandais). Lire un extrait de ce livre : L’Otan, un outil pour des intérêts géostratégiques
Ludo De Brabander participera à une conférence avec Michel Collon (Investig’Action), Lode Vanoost (DeWereldMorgen) et Veronique Coteur (Intal Globalize Solidarity) le 4 avril à Bruxelles. Pour avoir plus d’informations, cliquez sur ce lien.
Pour aller plus loin, consulter le site StopNato2017 (en construction).
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